Ceci a touché ma vie 1991-1992
Dans Ceci a touché ma vie, 1991-1992, une fillette vêtue d’une robe moderne se tient entre deux femmes voilées, un homme et une automobile au sein d’un groupe sculptural. Cette œuvre est la première des sculptures d’Oviloo Tunnillie à faire directement référence à ses années à l’hôpital du Manitoba où elle a été traitée pour la tuberculose. Oviloo a commencé par intituler la sculpture The Group (Le Groupe) pour une exposition de 1992 à la Marion Scott Gallery à Vancouver. Ce titre a été plus tard remplacé par Ceci a touché ma vie et l’œuvre a été acquise par le Musée canadien des civilisations (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire) pour l’exposition Inuit Women Artists: Voices from Cape Dorset (Femmes artistes inuites : échos de Cape Dorset) en 1994. Dans un texte pour le catalogue de l’exposition, Oviloo dit de cette œuvre :
Pendant que j’étais à l’hôpital loin de chez moi, c’était durant les années 1957, 1958 et 1959. Pendant que j’étais au loin, j’ai été emmenée en automobile de l’hôpital où je restais pour voir deux femmes. . . . Quand j’ai vu ces deux-là, j’ai vraiment été frappée par la façon dont elles étaient habillées et dont leurs visages étaient cachés. . . . Il était impossible de les reconnaître puisqu’elles portaient des chapeaux avec des voilettes de dentelle tirées devant leurs visages et chacune avait un sac à main. J’ai vraiment regardé la façon dont elles étaient habillées et de les avoir vues comme ça a été on ne peut plus mémorable pour moi. Je n’avais jamais vu de personne blanche comme ces deux-là jusqu’à maintenant. Je me demande parfois si elles avaient honte de leur visage, parce que je n’ai jamais vu ça auparavant. . . . [C’]est après avoir quitté l’hôpital que nous sommes allées voir ces deux femmes voilées. Alors c’est ça qui a été la partie la plus mémorable de ma vie pendant que j’étais là-bas.
Dans la sculpture, Oviloo apparaît en petite enfant avec les deux femmes voilées, le chauffeur de la voiture en habit et la voiture, comme dans sa description. Le seul lien physique entre les personnages est la main dominatrice que l’une des femmes pose fermement sur le sommet de la tête d’Oviloo. L’une des rares sculptures connues d’Oviloo constituée de plusieurs éléments autonomes et séparés, cette composition arrive à saisir le sentiment d’aliénation et d’étrangeté de son souvenir de cette expérience. Elle se distingue radicalement de son groupe soudé, Oviloo’s Family (La famille d’Oviloo), 2002, dans lequel les personnages sont entrelacés en une seule entité.
Lorsqu’on lui montre une photographie de cette sculpture, la sœur d’Oviloo, Nuvalinga, fait le commentaire que les cheveux d’Oviloo ont été coupés pendant qu’elle était à l’hôpital. « Elle avait vraiment les cheveux longs quand elle est partie. Les cheveux des filles n’étaient jamais coupés dans ce temps-là. » En plus de révéler le traitement insensible, d’un point de vue culturel, infligé aux filles inuites, cette observation aide à identifier d’autres sculptures autobiographiques qui représentent Oviloo alors qu’elle était encore à l’hôpital ou qu’elle venait de rentrer chez elle, dans le camp de ses parents. Par exemple, un portrait tendre intitulé My Mother and Myself (Ma mère et moi), 1990, montre une Oviloo aux cheveux courts avec sa mère Sheokjuke (1928-2012).
La tristesse de ces années passées à loin de chez elle est exprimée de façon poignante dans plusieurs autres sculptures. Nurse with Crying Child (Infirmière avec enfant qui pleure), 2001, montre Oviloo telle une enfant en pleurs sur les genoux d’une infirmière à l’hôpital. Dans Nurse (Infirmière), 1995, l’imposante figure d’une infirmière emprunte une pose quelque peu ridicule, songeant peut-être qu’elle est en train de distraire une fillette esseulée et éplorée.
Deux autres œuvres dépeignent Oviloo comme une enfant timide tenant un ours en peluche derrière son dos (comme dans Self-Portrait at Manitoba Hospital [Holding Teddy Bear] (Autoportrait dans un hôpital du Manitoba [tenant un ours en peluche]), 2010) et comme une enfant en pleurs agenouillée devant ce qui pourrait être une commode (Oviloo in Hospital (Oviloo à l’hôpital), v.2002). Oviloo a expliqué qu’elle a eu sa propre chambre pendant un certain temps, « remplie de trucs de fille qui avaient été achetés pour moi. » Comme on pouvait s’y attendre, il est tout à fait évident que l’hôpital n’a fait aucun effort pour vêtir ses patients autochtones d’une manière qui soit respectueuse de leurs cultures. Une autre œuvre sur le thème est déchirante par son émotion à vif, alors qu’Oviloo crie, attachée à son lit d’hôpital (Oviloo in Hospital Bed (Oviloo dans un lit d’hôpital), v.2000).