Sans titre (384) 1956
En 1956, les Painters Eleven connaissent déjà l’expressionnisme abstrait qui a fait son apparition à New York. Justement, Sans titre (384), 1956, d’Oscar Cahén s’apparente aux masses angoissantes de Robert Motherwell (1915-1991), aux symboles abstraits d’Adolph Gottlieb (1903-1974) et aux constructions évocatrices de l’univers technique de Franz Kline (1910-1962). La peinture de Cahén, comme la leur, conserve un style calligraphique; les ornements noirs d’allure précipitée mais néanmoins délibérés ressemblent en effet à des hiéroglyphes. Cahén préfère toutefois des dimensions plus intimes au monumentalisme destiné à habiller la blancheur des immenses espaces muraux appréciés des Newyorkais. Sa toile, qui fait moins d’un mètre de largeur, est pensée plutôt pour une résidence ou un bureau de dimensions moyennes, où elle concentrera les regards, parmi le mobilier, les fenêtres, les livres et les cendriers.
C’est en effet le genre de contexte qui invite le propriétaire à une longue et fréquente contemplation, au fil de laquelle il pourra établir une relation personnelle avec l’œuvre. Les touches hiéroglyphiques procurent « ce moyen d’échapper à la solitude par la communication » que Cahén cherche à offrir à travers ses œuvres abstraites. Le frottis révèle précisément le mouvement et la vitesse de la main de l’artiste. Le spectateur en quête de sens a une réaction instinctive; il revit par procuration le contact entre pinceau et toile, le rebond souple du coton tendu, la rudesse des poils qui saisissent les pigments, la consistance à la fois glissante et collante de l’huile.
La composition en triolets évoque un battement de tambour : trois traits noirs, trois traits roses, trois formes rondes flottant l’une au-dessus de l’autre, trois balafres en noir, rouge et bleu. On croirait une partition de ce jazz dont Cahén est friand. Par le rythme des coups de pinceau et grâce au rouge, au rose et au bleu assourdissants qui retentissent comme des trompettes, la toile incite le cœur et l’âme à répondre. L’émoi qu’elle suscite tient à l’évocation de l’éphémère : chaque graffito semble survoler le dessous en gris et blanc comme s’il avait été saisi juste avant de se dissiper comme l’écho. La relation entre la peinture appliquée sur la toile d’une part et le son et le mouvement d’autre part est l’équivalent des animations abstraites dessinées par Norman McLaren (1914-1987) en accompagnement de pistes de jazz. Les films qui en résultent ont d’ailleurs été projetés en 1952 à l’occasion d’une exposition d’art abstrait qui présente en outre deux œuvres de Cahén. En 1957, McLaren recevra opportunément le premier Oscar Cahén Memorial Award décerné par l’Art Directors Club of Toronto pour la créativité distinctive et authentique qui auront longtemps caractérisé son travail.