Forme en croissance 1953
En 1953, Oscar Cahén a déjà peint avec assurance de nombreuses huiles abstraites de grandes dimensions. Il participe à dix expositions cette année-là et à onze autres en 1954. Forme en croissance figure dans sa première exposition individuelle, qui a lieu à Hart House (Université de Toronto) en octobre 1954 à l’invitation du comité artistique de l’organisation. Le critique conservateur Hugh Thomson ridiculise l’affaire, qualifiant les peintures de « vagues » ou de « tordues » et les comparant à « ce que nous faisions à la maternelle».
Bien que Cahén étudie à cette époque des problèmes purement formalistes, Forme en croissance est typique de son intérêt durable pour la conversion d’un sujet reconnaissable en formes abstraites de nature à susciter des émotions. Comme d’autres artistes de son temps, il est « fasciné » par l’œuvre de Graham Sutherland (1903-1980), le célèbre peintre britannique dont les compositions organiques hérissées d’épines viennent alors d’être exposées à Toronto. Mais Cahén ne se contente pas d’adopter un trope en vogue : il travaille déjà depuis quelque temps à ce motif de forme élancée, dressée de barbelures et couronnée d’un bouquet de croissants.
Un certain nombre de ses illustrations comportent également des roses épineuses, qu’il peint à l’encre ou à l’huile dans des œuvres exécutées à son compte. De même, on trouve souvent dans ses illustrations une main avide, qui représente la maladie, les autorités qui arrachent un enfant à ses parents, la destinée ou d’autres concepts comminatoires. En dessin, il analyse les plantes, les mains, les têtes, à la recherche de formes cubistes essentielles, comme dans le dessin ci-contre, qui montre le cou et le torse d’un homme, tête renversée et bras levés (Sans Titre (405), v. 1951). Ces bouches et ces mains deviennent becs, serres et ergots dans les multiples représentations de coqs qui chantent ou se battent. Réduit à sa plus simple expression, le motif n’est parfois plus qu’un bâton terminé par un croissant. Dans Child Father and Mother (Enfant père et mère), v. 1952-1954, une des rares œuvres dotées d’une légende, le père est justement cet ensemble composé d’un bâton et d’un croissant.
De ces formes qui semblent frapper, saisir, se battre et crier, il faut déduire que Forme en croissance est plus qu’un arbre, une fleur ou un simple bâton terminé par un croissant. Dans un embrasement de rouges intenses ponctué de touches bleu sarcelle et de coups de pinceau d’un noir provocant, la « croissance » flamboyante et virile jaillit comme un poing, une bravade, une provocation en duel. Il s’agit de la reconnaissance du fait que la douleur et la peine s’accompagnent de transformations et d’un développement rayonnant. Il n’y a pas de rose sans épines.