Le coin du feu 1912
Dans Le coin du feu, Mary Hiester Reid représente son atelier de Upland Cottage, sa maison de Wychwood Park, à Toronto. Lorsque son mari George Agnew Reid (1860-1947) a conçu la maison, il a fait de la place pour deux ateliers, le deuxième étant plus grand et près de celui qui est représenté ici. Hiester Reid dépeint son propre intérieur, stylisé à sa façon, rempli d’objets, de fleurs et de gravures encadrées et disposées avec goût dans un espace aux tons chauds éclairé par le feu.
Cette œuvre, comme la précédente, Chrysanthemums: A Japanese Arrangement (Chrysanthèmes : un arrangement japonais), v.1895, témoigne des goûts de Hiester Reid pour l’esthétisme. Inspirés par le critique d’art John Ruskin (1819-1900), les partisans du mouvement esthétique, dont John Abbott McNeill Whistler (1834-1903), font la promotion du concept de « l’art pour l’art », fondé sur la recherche de la beauté et de l’expression personnelle dans tous les aspects de la vie. L’engagement de Hiester Reid à l’égard de ces principes est illustré par les objets placés avec soin dans la pièce, comme les gravures ou les peintures encadrées situées sur le mur près de la cheminée, et les fleurs ressemblant de façon frappante à des orchidées japonaises.
Bien que George Reid ait conçu la maison avec deux ateliers, Hiester Reid témoigne ici, sous la forme d’une peinture, de l’engagement collaboratif du couple envers le mouvement Arts and Crafts. Dans les années 1850, des artistes tels que William Morris (1834-1896) et Edward Burne-Jones (1833-1898) réclament l’élimination des divisions idéologiques entre les beaux-arts et les arts appliqués, décoratifs ou artisanats comme la conception et la production de meubles, ou encore le design graphique. Les réformateurs de l’Arts and Crafts estiment que la fin de ces divisions au sein des arts améliorerait la qualité de vie des gens et leur goût esthétique. En 1902, Hiester Reid et son mari contribuent à instituer à Toronto la Arts and Crafts Society au Canada et appliquent les principes de la société dans la conception et l’aménagement de leur maison.
Avec Le coin du feu, Hiester Reid montre comment les arts décoratifs et les beaux-arts ont été intégrés dans sa maison. Les détails architecturaux, comme les poutres apparentes et le coin du feu — encastré près de la cheminée et recouvert de somptueux coussins colorés —, bordent et enveloppent le décor, l’arrangement floral sur le côté droit ainsi que les œuvres d’art — certaines encadrées, d’autres non — suspendues sur les panneaux de bois du coin du feu et à l’extrême droite.
En 1911, Hiester Reid est photographiée dans ce même atelier par William James pour le Sunday World de Toronto. Sur la photo, elle est assise tenant une palette et des pinceaux, signalant par là son identité en tant qu’artiste professionnelle. En avril de la même année, l’image paraît parmi les onze portraits d’artistes dans un article de fond, tenant sur une pleine page et intitulé « In the Studios of Toronto’s Best Known Artists ». Environ un an plus tard, la photographie et la peinture de Hiester Reid montrent des objets et des œuvres d’art qu’elle a collectionnés, tels que des objets en laiton et en cuivre, une collection de céramiques et une estampe de l’artiste japonaise Utagawa Kunisada (1786-1865). Également en vedette, la copie qu’a fait George Reid du Nain avec un chien, v.1645, de Diego Velázquez (1599-1660). Celui-ci était un peintre de cour dans l’Espagne baroque du dix-septième siècle que les Reid admiraient. Pour tout dire, dans sa peinture, comme dans sa vie privée, Hiester Reid fusionne les arts appliqués et les beaux-arts, et en fournit ici la preuve à son public.