Mary Hiester Reid est une figure importante de la scène artistique canadienne des années 1890 aux années 1910. Reconnue principalement pour ses natures mortes florales peintes à l’huile sur toile, elle a joui d’un succès commercial et critique malgré les barrières patriarcales de son temps. L’œuvre de Hiester Reid s’arrime aux mouvements artistiques, culturellement sophistiqués, qui lui sont contemporains, tels l’impressionnisme et le tonalisme. En 1922, la Art Gallery of Toronto présente ses œuvres dans le cadre de la première exposition solo dédiée à une femme artiste et tenue dans ce musée depuis sa fondation en 1900. Devenue le Musée des beaux-arts de l’Ontario, l’institution lui consacre une deuxième exposition en 2000, pour mettre en valeur l’importance historique de son œuvre.
Esthétique florale
Bien que Hiester Reid ait peint divers sujets au cours de sa carrière, tels que des scènes de jardins, des environnements urbains et ruraux éclairés par la lune et des intérieurs domestiques, elle est surtout reconnue et appréciée pour ses savants arrangements de fleurs. Ses natures mortes florales la distinguent des autres artistes et lui valent un succès tant commercial que critique, à une époque où les femmes sont censées cultiver l’art principalement comme un passe-temps cantonné à l’univers domestique. Comme l’explique l’historienne de l’art Pamela Gerrish Nunn, « les matières premières pour la peinture de fleurs sont très accessibles aux femmes puisque dans leur environnement domestique, sans compter que leurs passe-temps et compétences sont généralement axés sur la flore, depuis la fabrication de fleurs en papier ou la broderie de mouchoirs avec de petites roses, jusqu’à l’arrangement de vases et le soin des plantes en pot dans les pièces d’un appartement. »
La spécialisation de Hiester Reid témoigne non seulement de sa bonne compréhension du marché, mais aussi d’une longue histoire d’engagement des femmes envers la peinture florale, dans laquelle s’inscrivent notamment les peintres hollandaises Judith Leyster (1609-1660), Maria van Oosterwijck (1630-1693) et Rachel Ruysch (1664-1750), l’artiste anglaise Mary Moser (1744-1819), et peut-être la plus connue aujourd’hui, Georgia O’Keeffe (1887-1986). Tout comme ces artistes, Hiester Reid commence sa carrière en produisant des œuvres très réalistes, portant une attention soutenue aux moindres détails, tel chacun des pétales d’un chrysanthème. Ses nombreux voyages lui permettent toutefois d’entrer en contact avec les mouvements artistiques internationaux tels que l’impressionnisme et le tonalisme, qui auront un profond impact sur son travail. À mesure qu’elle progresse dans sa carrière, Hiester Reid remet en question les principes de la nature morte florale en insufflant au genre une certaine contemporanéité perceptible dans les traits de pinceau plus larges et les variations saisissantes de tons pour définir les fleurs; ses natures mortes sont ainsi transformées en mises en scène savamment organisées et esthétiquement étudiées.
Au dix-huitième siècle, les académies d’art européennes catégorisent la peinture de fleurs comme un sous-ensemble du genre de la nature morte, soit le plus humble de la hiérarchie académique des genres picturaux. Les détails réalistes prisés dans les œuvres florales s’inspirent des principales exigences des illustrations botaniques; celles-ci mettent l’accent sur l’exactitude technique et sont souvent employées comme outils d’enseignement dans les études scientifiques du dix-huitième siècle. Les peintures de fleurs permettent également aux gens de voir et d’étudier les spécimens qui poussent dans différentes parties du monde, elles sont donc particulièrement faciles à vendre.
Bien qu’on reconnaisse aux femmes la production d’un bon nombre de ces illustrations botaniques, les hommes rédigent souvent les traités scientifiques qui les accompagnent — un processus qui a tendance à séparer les sphères de l’art et de la science en domaines féminin et masculin. Parmi les artistes canadiennes qui ont précédé Hiester Reid et qui se sont efforcées d’assurer l’exactitude scientifique de leurs travaux botaniques, mentionnons l’artiste d’Halifax Maria Frances Ann Morris Miller (1813-1875) et Agnes Dunbar Moodie Fitzgibbon Chamberlin (1833-1913), établie en Ontario, qui ont illustré deux livres sur la flore canadienne écrits par Catharine Parr Traill (1802-1899), Canadian Wild Flowers (1869) et Studies of Plant Life in Canada (1885).
Entre le milieu et la fin du dix-neuvième siècle, certains artistes, suivant les conseils et les théories du critique britannique John Ruskin (1819-1900), tentent d’insuffler une « force moderne » aux peintures de fleurs par la production d’œuvres soucieuses de « précision botanique », tout en adoptant simultanément des « idéaux artistiques élevés ». Hiester Reid adhère à la pensée de Ruskin selon laquelle la pratique d’un artiste doit être scientifiquement exacte, esthétiquement agréable et de nature poétique. Ses efforts pour répondre à cette dynamique exigeante sont remarqués par les critiques de son temps, comme en témoigne sa peinture Chrysanthemums (Chrysanthèmes), 1891. En 1899, la critique d’art du Globe de Toronto écrit, sous le pseudonyme Lynn C. Doyle, que « les fleurs de Mme Reid ne manqueront jamais d’admirateurs, et pour les meilleures des raisons; elle donne plus que la simple illusion de leur ressemblance, elle rend quelque chose comme leur grâce intérieure, ou leur âme car, comme un grand Français l’a affirmé, “tout dans la nature a une vie cachée et, pour ainsi dire, mortelle”. »
Une carrière indépendante
En tant que femme mariée et sans enfant de la fin de l’époque victorienne et du début de l’ère édouardienne, Hiester Reid a pu s’engager activement dans des activités artistiques et dans de nombreux voyages et études, ce qui souligne ses efforts pour promouvoir son art et sa carrière. En vendant ses tableaux dans des galeries commerciales et à des institutions artistiques publiques sa carrière durant, elle a obtenu une reconnaissance professionnelle et un soutien financier constant, en plus de celui d’un réseau de collègues. Et même si, jusqu’à la fin des années 1990, les chercheurs laissent entendre que Hiester Reid a principalement joué un rôle de soutien auprès de son époux, l’artiste George Agnew Reid (1860-1947), il est évident qu’elle a cultivé une carrière artistique autonome, comme en témoigne le fait qu’elle organisait ses propres expositions solos et visites d’atelier pour le public.
Par exemple, en 1920, Hiester Reid et cinq autres artistes, dont Marion Long (1882-1970) et Harriet Ford (1859-1938), ouvrent leurs ateliers au public pendant trois après-midi consécutifs de décembre. Certes, Hiester Reid aidait son époux dans ses visites d’atelier. Selon un journaliste écrivant sous le pseudonyme de Uncle Thomas, elle agissait à titre « d’assistante très agréable pour son époux en accueillant la foule qui visitait l’atelier pour admirer ses dernières et peut-être ses plus grandes œuvres », mais elle faisait aussi la promotion de son propre travail et en donnait l’accès au public indépendamment de son mari.
La vie maritale des Reid est marquée de nombreux voyages, le couple visitant l’Europe plusieurs fois, en 1885, 1888-1889, 1896, 1902 et 1910. Mary se fait un point d’honneur d’accorder suffisamment de place à son propre travail. Ses seuls écrits sur l’art à avoir été publiés en carrière sont une série de trois articles parus dans le Massey’s Magazine de Toronto, illustrés par son mari et consacrés à sa tournée européenne de 1896 en Espagne. Au mépris des mœurs sociales de l’époque toutefois, elle publie ces articles de voyage sous son propre nom, Mary Reid, au lieu de suivre la convention voulant qu’elle adopte le nom de son mari pour publier, soit Mme George Reid. C’est à peu près à la même époque qu’elle commence à signer ses tableaux en utilisant les initiales de son prénom et de son nom de naissance, suivies du nom de naissance de son mari, « M. H. Reid », comme on peut le voir dans Studio in Paris (Studio à Paris), 1896. Plus tard, elle utilise son prénom avec l’initiale de son nom de naissance, « Mary H. Reid », comme dans Morning Sunshine (Soleil du matin), 1913.
Dans les articles du Massey’s Magazine, Hiester Reid raconte comment les voyages en Europe comme les siens permettent aux artistes de visiter des musées et des sites historiques, en plus de leur offrir de multiples occasions de faire des croquis. Malgré les conventions sociales de l’époque, Hiester Reid n’hésite pas à laisser entendre qu’elle dessine seule. Dans le troisième volet de la série d’articles du Massey’s, elle décrit sa rencontre fortuite, alors qu’elle dessine seule, avec un groupe de « quinze ou vingt jeunes étudiants » de l’Université de Salamanque. « J’ai été un peu bousculée », écrit-elle,
pendant qu’ils se pressaient autour de moi pour voir ce que je faisais. J’imagine qu’une femme assise seule dans la rue, à moins qu’il ne s’agisse indéniablement d’une femme qui travaille, était inusité. Comme ils étaient impatients de savoir quelle langue je comprenais : ils ont essayé le français, l’allemand et l’espagnol, mais j’ai continué joyeusement mon croquis, leur faisant signe de se déplacer d’un geste de la main lorsqu’ils m’obstruaient la vue, et un peu plus tard leur déception évidente m’a bien amusée quand ils ont découvert que je n’étais pas complètement seule; ils se sont retirés avec beaucoup de déférence alors que nous partions. Quelle différence la présence d’un homme fait-elle!
Hiester Reid montre ici à ses lecteurs comment elle refuse de laisser les conventions sociales entraver sa démarche artistique. Cette détermination lui servira d’ailleurs dans les décennies qui suivront.
Professionnalisme et féminisme
Une façon intéressante d’envisager le travail et la carrière de Hiester Reid est de les examiner dans le contexte des limites professionnelles imposées aux femmes dans le monde de l’art canadien au milieu du dix-neuvième jusqu’au début du vingtième siècle. Cette approche a été initiée avec grande conviction par le Réseau d’étude sur l’histoire des artistes canadiennes, fondé en 2007, et par la publication subséquente d’un recueil d’essais, Rethinking Professionalism: Women and Art in Canada, 1850-1970.
Dans la préface, les historiennes de l’art Kristina Huneault et Janice Anderson expliquent : « La constitution sociale du professionnalisme a été particulièrement influente dans le domaine culturel, distinguant les amateurs des artistes « sérieux » et provoquant un flot de demandes de reconnaissance et de soutien aux arts. C’est aussi une formation particulièrement importante pour les femmes. Au seuil du professionnalisme, on retrouve les pratiques les plus scandaleuses et discriminatoires du passé et nombre des réalisations culturelles les plus impressionnantes des femmes. » Comme l’explique Susan Butlin, les associations professionnelles d’artistes ont proscrit la pleine participation des femmes en les plaçant dans des catégories spéciales. La Royal Academy of Arts de Grande-Bretagne a interdit aux femmes leur admission tout au long du dix-neuvième siècle. Bien qu’au moment de sa fondation, en 1768, elle comptait deux membres féminins, Angelica Kauffmann (1741-1807) et Mary Moser, l’académie a refusé d’en admettre d’autres jusqu’en 1922.
Hiester Reid fait usage de plusieurs techniques pour s’imposer comme une artiste dotée d’une formation professionnelle, et donc dite professionnelle. Elle étudie et enseigne dans des académies d’art en Amérique du Nord et en Europe, se joint à de nombreuses organisations dirigées par des artistes, telles que la Ontario Society of Artists (OSA), et présente des peintures aux expositions annuelles de ces organisations. De tels projets et activités ne lui permettent toutefois pas d’obtenir automatiquement les distinctions offertes à ses pairs masculins, y compris celles remises à son mari artiste, George Agnew Reid.
Ainsi, en 1893, Hiester Reid est élue membre associée de l’Académie royale des arts du Canada (ARC). Même si leur carrière artistique a commencé à peu près à la même époque, son époux a été nommé membre associé huit ans plus tôt et, en 1890, il est devenu membre à part entière, un statut que Hiester Reid n’obtiendra jamais. Lors de sa fondation en 1880, l’ARC élit l’artiste Charlotte Schreiber (1834-1922) à titre de membre fondatrice de l’académie. Schreiber est la dernière femme à avoir été nommée membre à part entière jusqu’en 1933. De 1880 à 1913, « les femmes artistes se voient refuser le statut d’académiciennes à part entière et ne peuvent accéder au rang d’associées qu’après avoir été élues par un groupe d’universitaires exclusivement masculins. »
Cela signifie que même si les femmes peuvent déclarer publiquement leur adhésion en incluant les initiales « ARCA » après leur nom, ces initiales indiquent aussi le rang inférieur des femmes dans l’organisation. Les politiques sexistes de l’organisation ne se limitent pas à privilégier les artistes masculins durant le processus d’élection de ses membres, elles stipulent aussi que les femmes ne peuvent ni utiliser l’acronyme « R.C.A. » pour désigner le statut de membre à part entière, ni participer ou occuper des postes au sein du conseil de direction, ni assister aux réunions des membres. En 1913, l’ARC a supprimé ces restrictions, allouant ainsi aux femmes le droit de siéger au conseil de direction et d’assister aux réunions d’affaires, mais ce n’est qu’en 1933 que l’institution a permis aux femmes d’être élues comme académiciennes; dans l’histoire de l’association, la deuxième femme artiste à être admise cette année-là est Marion Long.
George Reid semble cependant avoir un immense respect pour le talent de sa femme, sa carrière et son travail. Les époux organisent un certain nombre d’expositions conjointes, dont une en mai 1888, à la maison de ventes aux enchères Oliver, Coate & Co. de Toronto. À la fin de l’événement, les œuvres sont vendues au plus offrant. George Reid conservera l’un des catalogues de vente dans ses albums de coupures, qui se trouvent aujourd’hui dans les archives du Musée des beaux-arts de l’Ontario à Toronto. Le catalogue, intitulé Paintings by Mr. and Mrs. George Agnew Reid, énumère les titres des œuvres mais ne précise pas qui les a peintes. George, cependant, a griffonné les initiales « M. H. R. » sous treize des 93 œuvres énumérées, distinguant ainsi des siennes, pour référence, la production artistique et les ventes de son épouse.
Et lorsque George dessine les plans de leur maison, Upland Cottage, où ils s’installeront en 1908, il aménage un atelier distinct pour chacun d’eux. Dans son œuvre A Fireside (Le coin du feu), 1912, Hiester Reid représente son atelier de Upland Cottage. Les élèves du couple considèrent d’ailleurs Hiester Reid et son époux comme des partenaires égaux dans l’atelier, adressant aux deux artistes des notes de remerciement et des croquis. Il ne fait aucun doute qu’ils jouent un rôle tout aussi important l’un que l’autre dans leurs activités d’enseignement communes.
À l’époque de Hiester Reid, les femmes s’identifient souvent comme artistes professionnelles en utilisant leur nom de naissance dans la signature de leurs œuvres. C’est ce qu’ont fait, par exemple, les artistes Laura Muntz Lyall (1860-1930) et Gertrude Spurr Cutts (1858-1941), peut-être en guise de refus silencieux de ce sexisme qui a marginalisé leur travail. En signant ses œuvres, Hiester Reid inclut souvent son nom de naissance « Hiester » ou, plus fréquemment, l’initiale « H. ». Dans le cas de son œuvre Early Spring (Début de printemps), 1914, elle utilise également son prénom, signature qui, dans son intégralité, se lit « Mary H. Reid ». Par ces stratégies, signature avec prénom ou l’initiale du nom de naissance, Hiester Reid et ces femmes s’affichent ouvertement comme étant des artistes indépendantes et accomplies.
Reconnaître les obstacles que Mary Hiester Reid a dû surmonter — qu’ils soient d’ordre social, administratif, économique ou politique — pour pouvoir s’engager pleinement, fonctionner et réussir dans le monde de l’art au Canada est une étape importante dans la réflexion sur son héritage artistique. Considérées dans le contexte de la fin de l’époque victorienne et de l’époque édouardienne, ses réalisations sont aujourd’hui estimées comme les incursions stratégiquement productives d’une femme dans des lieux et des organisations conçus pour l’exclure. Qui plus est, elle a produit et vendu des tableaux pour rehausser la beauté des maisons des gens. Comme l’écrit M. O. Hammond (1876-1934) en 1930 dans le cadre de sa série publiée dans le Globe de Toronto, « Leading Canadian Artists », les images de Mary Hiester Reid « se sont vendues rapidement et on se souvient d’elle dans de nombreuses maisons et galeries grâce à la note rafraîchissante de couleur et de douceur qu’elle a su donner, depuis son coin du mur. » Elle a par la suite repésenté ses propres intérieurs artistiquement étudiés, dans des œuvres comme Le coin du feu, 1912, et Soleil du matin, 1913, révélant avec éloquence comment les plus grands adeptes canadiens de l’esthétisme et du mouvement Arts and Crafts concevaient et décoraient leurs espaces privés.
Nationalisme et exclusion
Hiester Reid a été célébrée de son vivant, et son exposition commémorative posthume de 1922, à la Art Gallery of Toronto (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario), a été encensée par le public et par la critique. Après l’avoir visitée, Hector Charlesworth (1872-1945), journaliste et commentateur artistique établi à Toronto, écrit des articles élogieux sur l’œuvre de Hiester Reid :
Mme Reid a un sens des nuances de couleurs de la nature aussi distingué que celui d’un [Claude] Debussy dans le domaine mystique des tons musicaux. Mais en tant que praticienne arrivée à maturité technique, c’est son merveilleux sens tactile qui semble être son don le plus impressionnant […] Le goût pour les textures et surfaces tactiles, et pour la beauté infime des reflets, procure un plaisir très profond même à ceux qui ont le don de les transférer sur la toile […] C’est dans ces œuvres que sa maîtrise d’une juste interprétation de l’atmosphère est la mieux révélée.
Cette qualité s’exprime pleinement dans son tableau A Harmony in Grey and Yellow (Une harmonie en gris et jaune), 1897.
Cependant, l’héritage de Hiester Reid a été mis de côté peu après son exposition commémorative. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que son travail a été sérieusement étudié par les chercheurs, puis présenté dans le cadre de l’exposition rétrospective de 2000-2001 intitulée Quiet Harmony : The Art of Mary Hiester Reid (Harmonie tranquille : l’art de Mary Hiester Reid), tenue au Musée des beaux-arts de l’Ontario. Pourquoi son travail est-il tombé dans l’oubli entre le milieu des années 1920 et les années 2000?
Au milieu des années 1920, on assiste à un changement de goût en matière d’art « national », favorisant l’ascension du Groupe des Sept dans l’estime du public au Canada et à l’étranger. En 1924 et 1925, le Musée des beaux-arts du Canada organise deux expositions d’art canadien dans le cadre de la British Empire Exhibition. Bien que l’exposition de 1924 présente un large éventail d’œuvres, dont Soleil du matin, 1913, de Hiester Reid, les critiques britanniques réservent la plus grande part de leurs éloges aux « ambitions nationalistes et modernistes révélées au sein d’images de la nature dépeinte comme sauvage », et particulièrement à celles du Groupe des Sept, qui avait formé et tenu sa première exposition collective au printemps 1920, au Musée des beaux-arts de l’Ontario. L’œuvre du groupe, caractérisée par des toiles monumentales aux paysages vigoureux et non peuplés, est perçue comme reflétant la quintessence de l’identité canadienne, éclipsant « l’œuvre plus romantique et idéalisée d’artistes tels que [Hiester] Reid ».
Une autre raison à cette omission du travail de l’artiste est peut-être tout simplement l’œuvre du sexisme. L’historienne de l’art Linda Nochlin (1931-2017) pose une question pertinente dans son article de 1971 intitulé « Why Have There Been No Great Women Artists? ». Nochlin explique que le sexisme systémique qui traverse l’histoire de l’art a exclu les femmes artistes du canon artistique. Alors que l’attention critique et l’opinion publique s’arrêtent sur les interprétations audacieuses du Groupe des Sept que l’historien de l’art Newton MacTavish qualifie en 1925 d’ « esprit vigoureux, passionné et rebelle de la nation », la conscience du travail et des réalisations de Hiester Reid s’estompe, et on n’écrit plus à son sujet aussi souvent ou intensément.
Quoi qu’il en soit, les idéaux esthétiques, les compétences techniques et les réalisations remarquables ayant marqué la carrière de Hiester Reid révèlent une artiste hautement intelligente et accomplie. Elle a su naviguer au travers des contraintes socioculturelles de son temps, et a ainsi montré aux futures femmes artistes une manière d’orienter leurs pratiques dans l’avenir.