Janvier ‘68 1968
Dans Janvier ’68, une palette froide de deux bleus, de violet et de noir est contrastée par une grande zone centrale blanche. Les relations entre la forme et le fond ainsi qu’entre le clair et l’obscur évoquent un torse étendu dans un paysage aride, surmonté d’une forme circulaire noire qui représente à la fois une tête ou la lune dans la nuit. La composition est peut-être une métaphore symbolique du corps endolori de Marion Nicoll dans le froid de janvier, en Alberta, qui exacerbe les difficultés liées à son arthrite progressive.
En 1968, Nicoll réalise trois nouvelles abstractions correspondant esthétiquement à chacun des mois d’hiver; Janvier ’68 est la première d’entre elles. Malgré son inconfort physique, elle crée l’un des tableaux les plus importants de la fin de sa carrière, une œuvre qui suscite un intérêt national et international. À son amie Janet Mitchell (1912-1998), elle explique les répercussions de la météo sur sa santé à l’époque : « Nous avons eu dix jours de froid, alors naturellement, j’ai eu mal. Maintenant, il fait 0 degré [-18 Celsius] et le vent souffle, la neige est presque parallèle au sol. Les bouleaux s’agitent dans tous les sens…. Je porte un pantalon de survêtement gris (pour les hommes qui s’entraînent) avec des chaussettes, un chandail vert à manches longues et à col montant et un muumuu par-dessus le tout. » En mars, Nicoll est hospitalisée et n’obtient son congé qu’à la mi-mai.
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Marion Nicoll, Études pour January’ 68 (Janvier ’68), carnet de croquis no 3, v.1968
Mine de plomb sur papier, 21,5 x 14 cm
Archives du Glenbow Museum, Calgary -
Marion Nicoll, January ’68 (Janvier ’68), 1968
Gravure sur bois sur papier, 42 x 31 cm
Collection d’art public de la Ville de Calgary
Nicoll termine Janvier ’68 au printemps, entre l’hôpital et l’atelier. Deux études et des calculs d’agrandissement montrent son processus de planification qui, explique-t-elle, « peut prendre jusqu’à un an ». Le tableau est achevé juste à temps pour être présenté lors de la tournée des ateliers menée par William C. Seitz au Canada, qui s’est étendue sur sept semaines. Conservateur reconnu dans le domaine de l’abstraction d’après-guerre, Seitz est alors directeur du Rose Art Museum de l’Université Brandeis, à Waltham au Massachusetts, et a été nommé commissaire invité pour la Septième Biennale de la peinture canadienne, 1968 organisée par la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC). Il choisit Nicoll comme l’une des sept femmes parmi les soixante et onze artistes exposés, reconnaissant « l’apport philosophique et poétique » de son œuvre à l’événement ». Janvier ’68 est également le choix de l’artiste pédagogue William Townsend (1909-1973) pour illustrer un numéro spécial de Canadian Art Today, publié par Studio International, dans lequel il présente l’art contemporain canadien au public anglais.
Nicoll transforme Janvier ’68 en deux autres projets : sa carte de vœux de 1969 envoyée aux amis et à la famille; et l’un de ses plus grands tirages par le procédé de la gravure sur bois. C’est en 1973 que la Alberta Foundation for the Arts achète l’œuvre, lui offrant ainsi sa place définitive dans une collection d’art public provinciale.