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Calgary II : La ville laide 1964

Marion Nicoll, Calgary II : La ville laide, 1964

Marion Nicoll, Calgary II: The Ugly City (Calgary II : La ville laide), 1964
Huile et Lucite sur toile, 116,8 x 139,7 cm
Collection privée

En 1964, Marion Nicoll amorce un nouveau projet inspiré par sa ville natale : la série Calgary (I–III), 1964-1966. Le tableau Calgary II : La ville laide superpose des bleus et des verts en des formes semblables à des blocs, tandis qu’au centre de la composition, de minces bandes jaunes tracent les lettres « CIA ». Des trois tableaux de la série Calgary, cette œuvre est celle qui reflète le mieux le conflit interne vécu par Nicoll à propos de son retour au pays, des émotions qui la remuent depuis 1959.

 

Après une année passée à New York et en Europe, elle revient en Alberta et trouve son poste d’enseignante de design et d’artisanat inchangé au Provincial Institute of Technology and Art (PITA) de Calgary, une école toujours dirigée par des hommes l’empêchant de donner des cours de peinture. Cette réalité demeure jusqu’à sa retraite en 1966, malgré ses nombreux succès dans l’Ouest canadien et sa participation à la 5e Exposition biennale de la peinture canadienne 1963 de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC). Nicoll vit sans doute cette expérience avec amertume, surtout après avoir refusé des occasions d’enseigner à New York à cause de son mari, et du dédain qu’il ressentait pour la ville conjugué à son désir de retrouver ses racines familiales.

 

Marion Nicoll, The Beautiful City (La ville magnifique), 1959, huile sur toile, 92 x 71,5 cm, Morris and Helen Belkin Art Gallery, Université de la Colombie-Britannique.
Carte postale de New York, 1959.

Juste avant de peindre cette œuvre, Nicoll déclare qu’elle souhaite ardemment vivre à New York, « où je suis deux fois plus vivante. New York est un endroit plus accueillant que Calgary… pour moi, c’est la plus belle ville du monde ». La palette chaude de rouges et de jaunes qui illumine The Beautiful City (La ville magnifique), créée à Manhattan en 1959, trouve son contraire dans Calgary II : La ville laide, avec sa palette froide de bleus et de verts, à l’autre bout du spectre des couleurs primaires. En général, pour développer ses abstractions, Nicoll trouve l’inspiration dans un lieu ou une expérience unique, mais c’est son tableau précédent, La ville magnifique, qui rend possible Calgary II : La ville laide.

 

Réticente à s’exprimer sur la signification de ses tableaux, Nicoll explique : « Si mon travail ne s’exprime pas de lui-même, alors rien de ce que je peux dire ne fera de différence. S’il parle de lui-même, alors une explication écrite est superflue. » De même, l’intégration des lettres fortement connotées « CIA » tisse un lien étrange avec l’acronyme de la Central Intelligence Agency. Cette institution américaine a été créée en 1947 pour s’occuper des questions liées aux renseignements étrangers et aux tensions croissantes entre les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Dès 1959, les écrits de P. W. Martin sur la guerre froide, prônant la foi et la paix dans une ère nucléaire tourmentée, trouvent place dans la bibliothèque de Nicoll. De Martin, elle a lu l’appel à l’action personnelle: « À une époque où il semble que le citoyen individuel ne devient guère plus qu’une unité statistique dans l’État de masse moderne, c’est de lui que tout dépend aujourd’hui. »

 

Calgary II : La ville laide marque à tout le moins une prise de conscience significative chez Nicoll, à savoir qu’elle peut faire davantage dans ses abstractions que dans ses tableaux précédents, qui ne figent dans le temps qu’un seul endroit. Grâce à un titrage minutieux et au recours à des symboles, des éléments d’autobiographie et des contrastes, ses abstractions deviennent de plus en plus stratifiées et multilocalisées. L’opposition beauté et laideur est suggérée par les deux tableaux, mais Calgary II souligne peut-être aussi l’intention de Nicoll d’établir une comparaison entre nations. Avec la série Alberta, 1960-1962, la série Calgary est l’un des principaux corpus d’œuvres de Nicoll à représenter sa patrie. Dans cet ensemble, Calgary II occupe une place importante depuis les années 1970, puisqu’elle fait partie de la rétrospective de 1975 et qu’elle sert de frontispice à la première monographie sur sa vie et son art parue en 1978.

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