Symphonie domestique 1919

Symphonie domestique

Margaret Watkins, Domestic Symphony (Symphonie domestique), 1919
Épreuve au palladium, 21,2 x 16,4 cm
Collections diverses

Décrite par Vanity Fair, en 1921, comme une œuvre qui « n’est pas sans rappeler les sculptures de [Constantin] Brâncuși [1876-1957] », Symphonie domestique est sans doute la photographie la plus réussie de Margaret Watkins. Tirant parti des objets de sa cuisine, l’artiste compose une image aux formes répétitives, campées dans un intérieur sombre. L’image est un chef-d’œuvre sensuel. L’artiste y combine le genre de la nature morte de cuisine qui la caractérise avec la sensualité d’une étude de nu, en une scène qui évoque la forme musicale.

 

Parfois intitulée Eggs on Porcelain (Œufs sur porcelaine), la composition montre le bord de l’évier en porcelaine blanche de l’artiste, trois œufs de tons différents posés sur l’égouttoir attenant, le bas d’une bouilloire et d’un bol en émail, ainsi qu’un linge pendant sur le côté droit. Les courbes de la porcelaine blanche s’imbriquent les unes dans les autres, rappelant visuellement un membre appuyé sur un autre, ou le sommet d’une vague. Et quand l’œil de la personne spectatrice se concentre sur cette forme centrale, celle-ci apparaît encore et encore dans l’œuvre par un effet de multiplication – lorsqu’un œuf en rencontre un autre, lorsque la bouilloire et le bol se touchent, et sous une forme allongée, dans le pli du linge. Pour accentuer à la fois la sensualité et le mystère de cette image, Watkins laisse le centre dans l’ombre, repoussant les objets au bord de la composition. Le linge, à droite, ne trace pas un angle droit avec le rebord. Il se déplace légèrement vers l’ombre, attirant le regard vers l’intérieur et vers le haut, jusqu’à l’arête de la porcelaine blanche.

 

Margaret Watkins, Design – Angles (Angles – design), 1919, épreuve au chlorure d’argent sur papier pour lumière de gaz, 20,7 x 15,5 cm, collections diverses.

Cette photographie est exposée au premier salon international de la photographie de Kohakai, à Kobe, au Japon, au cours de l’été 1922. Elle reçoit une mention honorable à la troisième exposition internationale de photographie picturale, sous les auspices de la Royal Agricultural and Industrial Society, à New Westminster, en septembre 1923, ainsi qu’au quatrième salon annuel de photographie picturale de Frederick and Nelson, à Seattle, en novembre 1923.

 

En gardant à l’esprit le titre Symphonie domestique, il serait possible de réécrire entièrement la scène sous une forme musicale. L’une des descriptions les plus convaincantes que donne Watkins de son art fait référence à la musique : « Un sujet simple + inconséquent peut devenir le mobile de motifs beaux et rythmiques qui suscitent une émotion qui n’a aucun lien avec le sujet original – la beauté abstraite et austère d’une fugue de Bach, les thèmes qui se répondent, un phrasé en contrebalançant un autre. » Dans Symphonie domestique, on observe le motif rythmique des courbes qui se rencontrent et qui s’expriment à travers des diminuendos et des variations. Il s’agit d’une photographie qui touche le public par la forme et les tons. Une autre façon de comprendre l’intégration de la musique et de l’image que réalise Watkins est de la voir comme une synesthésie, c’est-à-dire une expérience d’un sens, en l’occurrence visuel, qui déclenche l’expérience d’un autre sens, ici le son. Comme l’écrit Andrea Nelson, « Watkins associe le travail domestique, le processus artistique et le phénomène de la synesthésie, dans lequel les voies des sens se croisent ».

 

Une composition musicale comparable, The Bread Knife (Le couteau à pain), 1919, est exposée sous le titre Design – Angles (Angles – design) à San Francisco et à Kobe, au Japon, en 1922, et présentée en 1921 avec Symphonie domestique dans un article de Vanity Fair consacré à Watkins, dont on associe la pratique à l’art cubiste de Pablo Picasso (1881-1973). Si Symphonie domestique explore la rencontre des courbes, Angles – design est tout entière dans la rencontre des lignes droites. Les angles prolifèrent – à intervalles variés sur le bord du couteau (court), dans la frange du papier peint (un peu plus long), dans la rencontre du couteau, de la planche et du livre, dans les ombres de chacun d’entre eux, et enfin, point culminant, dans le triangle sombre au centre de la photographie.

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