Sans titre [Glasgow, grue Finnieston] 1932-1938

Sans titre [Glasgow, grue Finnieston]

Margaret Watkins, Untitled [Glasgow, Finnieston Crane] (Sans titre [Glasgow, grue Finnieston]), 1932-1938
Épreuve à la gélatine argentique, 10,3 x 7,8 cm
The Hidden Lane Gallery, Glasgow

Dans une photographie de la section centrale de la grue Finnieston, dressée sur la rive du fleuve Clyde, Watkins tire parti de son environnement industriel à Glasgow. Par là, elle témoigne de l’influence de la Nouvelle vision, un courant photographique européen qui expérimente en mettant en œuvres des points de vue novateurs, des perspectives radicales et la fragmentation, afin de trouver des équivalents à la machine moderne et à la ville. Cette photographie montre une ossature de poutres et de poutrelles noires entrecroisées disposée contre un motif tout en courbes de nuages blancs et gris. La grue est recadrée en un fragment qui ne permet pas d’en concevoir les limites, ni même de percevoir le sol ou l’horizon. Il en résulte une interprétation des années 1930 de l’étude des angles chère à Watkins : ici, les angles ne sont pas créés avec un couteau à pain posé sur un évier, mais par une grue massive dont l’artiste a exploré tous les côtés. Comparable à la photographie de la tour Eiffel de Germaine Krull (1897-1985) et son exploration des formes géométriques, cette photographie de la grue Finnieston s’inscrit dans une série de grues bordant le fleuve Clyde mise en images par Watkins. Par cette série, la photographe étudie différents points de vue de la grue dans la ville – de loin, du sommet et de dessous.

 

A photograph looking up through the beams of the Eiffel Tower
Germaine Krull, Eiffel Tower (Tour Eiffel), v.1927, collotype, 23,6 x 17,1 cm, extrait du portfolio MÉTAL, A. Calavas, dir., Paris, Librairie des Arts décoratifs, 1928.
Margaret Watkins, Untitled [Finnieston crane from the opposite shore] (Sans titre [La grue Finnieston vue de la rive opposée]), 1932-1938, épreuve à la gélatine argentique, 7,8 x 10,3 cm, The Hidden Lane Gallery, Glasgow.

Watkins rend visite à ses tantes âgées à Glasgow en 1928, lors d’un séjour en Europe pour des vacances. Constatant qu’elles ont besoin de soins et comme elle est la seule parente non mariée, Watkins reste à leurs côtés pour les aider et ne retournera jamais en Amérique du Nord. Elle adopte le nouveau paysage industriel de cette ville de construction navale et fait pratiquement de la grue Finnieston son « animal de compagnie » : « J’ai vu les grues des chantiers navals se profiler dans le crépuscule comme un troupeau de monstres préhistoriques – et j’ai été chassée par le gardien – et j’ai vu l’homme sous son véritable jour, une toute petite créature qui rampe et gambade sur la terre. » C’est le Glasgow de Watkins : l’industrie lui offre des motifs géométriques, mais elle est aussi captivée par la relation entre l’être humain et ces structures, comme dans son image d’un homme lisant au bord du Clyde, magnifiquement encadré par des poutres d’acier, en pleine conversation visuelle avec la grue obsédante au centre de la photographie. On peut aussi penser à la vue du haut de la grue que capture Watkins, avec les camions et les ouvriers en contrebas : « Il y a une photo prise depuis le géant de Finnieston (suspendu au-dessus du rail par une forte brise), qui regarde directement vers le bas le dôme trapu de l’entrée du tunnel, avec de petits camions et des figures qui font un rapide motif de scarabée de lumière et d’obscurité. »

 

Ces images de grues font également penser à une série de photographies que Watkins élabore de 1932 à 1938 et qui représente des ouvriers sur un chantier de construction à Glasgow. Parfois, elle découpe les silhouettes d’un ou deux hommes sur un entrelacs de poutrelles isolées contre le ciel. Ailleurs, on aperçoit un ouvrier dans le désordre des poutres d’échafaudage et des ombres. L’effet est celui d’un montage mettant en valeur le travailleur dans son environnement. Ces photographies rappellent les images des photographes russes de l’époque, notamment celles de Boris Ignatovich (1899-1976), Vladimir Gruntal (1898-1963) et Aleksandr Rodchenko (1891-1956). Margaret Bourke-White (1904-1971), l’élève de Watkins, se fait aussi un nom avec des photographies de sites industriels monumentaux, par exemple dans sa série sur la compagnie Otis Steele et les barrages gigantesques en URSS. Si les photographies de Watkins n’ont pas toujours la portée monumentale des images de Bourke-White, elles présentent peut-être un effet cubiste plus intéressant : elles désorientent, mais sont toujours à la recherche de symétries inattendues, de répétitions et d’espaces vides éloquents.

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