Opus 1 1914

Opus 1

Margaret Watkins, Opus 1, 1914
Épreuve au bromure, 30 x 23,3 cm
The Hidden Lane Gallery, Glasgow

Au cours de l’été 1914, Margaret Watkins réalise le cliché Opus 1 à la Seguinland School of Photography, fondée par Clarence H. White, au Maine. Il s’agit de l’une de ses premières œuvres, et on y trouve les fondements essentiels du style qu’elle développera tout au long de sa carrière photographique : la reconnaissance de formes géométriques – angles, courbes, répétitions – dans l’univers quotidien.

 

Bien que Watkins ait commencé à étudier la photographie à Boston l’année précédente, en travaillant comme assistante du photographe des États-Unis Arthur L. Jamieson dans son studio de portrait, c’est le cours d’été de six semaines qu’elle suit avec Clarence H. White (1871-1925) qui façonne sa pratique artistique. White promeut la photographie en tant qu’art et enseigne la photographie pictorialiste au département d’art du Teachers College de l’Université Columbia et au Brooklyn Institute of Arts and Sciences. En choisissant le titre Opus 1, Watkins manifeste son intention de présenter cette composition comme sa première œuvre d’art. Le titre laisse également entendre que l’artiste, qui possède une formation en piano et en chant, établit un lien entre sa pratique photographique et musicale.

 

Margaret Watkins, The Wharf (Le quai), 1922, épreuve au palladium, 20,2 x 15,1 cm, collections diverses.

Opus 1 est un brillant motif d’angles formé par les flancs arrondis de bateaux de pêche. Les triangles sont omniprésents : dans la proue des bateaux, dans les lignes d’un bras tendu et de l’ombre qu’il projette, et surtout, au centre de la composition. Watkins place les objets en périphérie de l’image, laissant les différents tons de l’eau ondulante au centre – parmi lesquels une courbe sombre reflète et fait écho au bord de la barque sur la droite.

 

Or, une note au dos de la photographie décrit autre chose que les triangles. Elle indique que Watkins se tenait sur le demi-pont d’un bateau, d’où elle observait la récolte au filet de petits poissons utilisés pour appâter des prises plus grosses, comme le merlu ou le flétan. Si on peut considérer Opus 1 comme une photographie de paysage, celle-ci ne montre pas l’horizon. La personne spectatrice est plutôt plongée au cœur de l’action – l’eau, le labeur (incarné par le bras qui s’étire), et l’effervescence de la pêche avec les poissons et les paniers. Même si Watkins insistera plus tard sur le fait que, dans l’art moderne, le sujet représenté n’a aucune importance, ce n’est que la forme qui compte, elle s’est toujours intéressée à ce qu’elle voyait. C’est l’interaction entre la forme et les objets apparemment insignifiants, souvent domestiques, qui révèle sa vision originale. Ici, dans sa première photographie, elle tient à dévoiler ce que font les pêcheurs, où elle se tient et quels poissons se trouvent dans le bateau.

 

Huit ans plus tard, Watkins saisit une autre image de bateau et d’eau qui se rapproche davantage de son idéal de forme pure. Dans The Wharf (Le quai), 1922, le sujet de la photographie est réduit à deux objets qui se rejoignent près du sommet. Là encore, un vide règne au centre de la composition. Le quai horizontal presque imperceptible au bas de l’œuvre complète le triangle décentré formé par l’eau. Le petit nombre d’objets et l’angle restreint (encore une fois, pas d’horizon distrayant), combinés à l’eau calme comme un miroir, créent un monde silencieux et méditatif. L’intérêt de Watkins va au-delà du flou artistique pictorialiste. Le quai témoigne de sa maîtrise ultime de l’espace sombre et lumineux, des formes géométriques fragmentées du cubisme, et de l’évocation de l’atmosphère.

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