Moscou [Festival de la jeunesse] 1933

Moscou [Festival de la jeunesse]

Margaret Watkins, Moscow [Youth Festival] (Moscou [Festival de la jeunesse]), 1933
Épreuve à la gélatine argentique, 15,6 x 21 cm
The Hidden Lane Gallery, Glasgow

Margaret Watkins se rend à Moscou et à Leningrad en 1933 avec un petit groupe organisé par la Royal Photographic Society de Londres. Attirée par l’art et le cinéma soviétiques, elle souhaite, tout comme son élève Margaret Bourke-White (1904-1971), être l’une des premières à assister à la tentative soviétique de « s’industrialiser presque du jour au lendemain ». Cette image de Moscou représentant des affiches du Festival de la jeunesse est l’un des vingt-cinq tirages que Watkins prépare à partir de cette expédition.

 

Ce paysage de rue est très chargé visuellement : il comporte beaucoup d’informations à trier et à organiser. L’œil de Watkins a isolé les rangées horizontales de lumière et d’ombre – la base de la rue, une première rangée de fenêtres qui se fondent dans les tables représentées dans la partie inférieure des trois affiches, une rangée supérieure de fenêtres et de drapeaux foncés et, enfin, un toit aux tons sombres. En même temps, les personnes, les affiches, les fenêtres et les drapeaux forment des lignes verticales. Mais à l’intérieur de ce schéma (essentiel à son esthétique) se trouvent deux éléments narratifs importants : premièrement, les trois affiches gigantesques représentant trois designers (dont une femme) à leur table de travail; deuxièmement, en bas à gauche de la photographie, le groupe de femmes qui attendent un tramway. Elles représentent les piétons à moitié cachés qui passent entre le bâtiment et les affiches.

 

Margaret Watkins, The Model Contest, Youth Festival (Concours de modèles réduits, Festival de la jeunesse), 1933, épreuve à la gélatine argentique, 15,8 x 21,2 cm, The Hidden Lane Gallery, Glasgow.
Margaret Watkins, The Builder, “Peter the Great” (Le bâtisseur, « Pierre le Grand »), 1933, épreuve à la gélatine argentique, 15,8 x 21,3 cm, The Hidden Lane Gallery, Glasgow.

En examinant les trois affiches, on ne parvient pas tout de suite à dire si elles sont suspendues au bâtiment ou si elles se trouvent plutôt dans la rue et dominent la scène, comme c’est finalement le cas. L’image montre le monde de la propagande soviétique opérant par le montage. Les affiches sont inspirantes dans leur conception faite de répétitions et de variations : dans les dessins derrière les figures ou sur la table, dans les tabliers, dans la position des têtes, et dans le jeu d’ombre et de lumière, en parallèle avec le motif tonal de l’image, et dans la mise en évidence de la photographie au sein même des images. Toujours attentive au rôle des images dans notre monde, Watkins a reconnu que les Soviétiques étaient des maîtres de la propagande. Aussi a-t-elle documenté de nombreuses affiches éducatives de Moscou et de Leningrad faisant la promotion du travail d’équipe et de l’effort, des dangers de l’ivresse ou du maintien d’une bonne santé.

 

Les femmes qui attendent le bus, des figures en apparence mineures, mais néanmoins essentielles dans cette photographie, rappellent à la personne spectatrice la relation entre les affiches et le monde ouvrier réel. D’un côté, ces femmes sont les héroïnes de l’histoire, alors que les affiches célèbrent des versions idéalisées du travail. D’un autre côté, ces femmes, avec leurs babouchkas blanches et sombres, incarnent le vrai travail et confrontent les affiches, qui ne parlent pas de la douleur et de la pauvreté dont Watkins est témoin lors de sa visite.

 

Une autre photographie, The Builder, “Peter the Great” (Le bâtisseur, « Pierre le Grand »), 1933, capture la relation entre l’imagerie publique et les gens dans la rue. Watkins situe la statue équestre de Pierre le Grand par rapport à deux garçons jouant dans l’eau peu profonde en contrebas. La photographie se compose de trois bandes tonales horizontales, mais un triangle unit les trois figures avec leurs ombres, et même leurs jambes, dont les reflets se font écho. Il s’agit d’un arrêt du temps, d’un « moment décisif », comme dans les photographies qu’Henri Cartier-Bresson (1908-2004) prendra plus tard dans les années 1940 et 1950. Par là, cette photographie ramène la figure monumentale à l’échelle du quotidien.

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