Étude pour une publicité [Savon Woodbury] 1924
C’est la capacité de Margaret Watkins à représenter les objets domestiques de manière séduisante qui la prépare à devenir une photographe publicitaire réputée dans la seconde moitié des années 1920 à New York. Elle est l’une des premières à développer un langage photographique pour la publicité. Dans cette étude pour une publicité du savon Woodbury, commandée par J. Walter Thompson en 1924 et également acceptée à l’exposition avec jury du salon international de San Francisco en 1925, les formes rectangulaires du savon et de la brochure publicitaire s’entrecroisent et semblent planer au-dessus du bord circulaire du lavabo en marbre. Le procédé d’impression au palladium génère un camaïeu de gris entre le sombre arrière-plan en clair-obscur et la lumière qui se reflète sur le côté de la brochure. L’eau qui coule du robinet produit aussi une gamme de tons, avec un éclair blanc provenant de la lumière de la fenêtre, bien situé entre le jet d’eau et le trait sombre qui le borde. L’image a pour but de vendre un pain de savon, mais elle poursuit cet objectif en insufflant un soupçon de mystère à la scène, qui se fond dans l’obscurité, et en traduisant visuellement le plaisir de la sensation de l’eau. Le tout forme un ensemble de triangles (avec la ligne de l’eau qui rencontre l’arête de la brochure, ainsi que les coins du savon et de la brochure) et de cercles (avec les deux lignes que forment le bord du lavabo et le cercle au centre du savon). Une fois de plus, Watkins réussit à composer brillamment des objets domestiques pour en faire un royaume sensuel.
L’exposition personnelle de Watkins au Art Center de New York en novembre 1923 comporte une catégorie « nature morte et design ». L’une des images qui y figurent est Soap Dish (Porte-savon), 1919, parfois exposée sous le titre Still Life – Bath Tub (Nature morte – baignoire). Cette photographie de savon évoque le nettoyage quotidien, ou la nécessité de nettoyer (dans les rayures qui marquent le pain de savon sans nom et la vieille brosse à récurer), même si elle exploite les formes géométriques, les textures et une gamme de tons. En comparaison, dans son image du savon Woodbury de 1924, Watkins simplifie la composition et élimine les rayures, laissant la sensualité de la forme et du ton prendre le dessus. L’objet idéalisé est ainsi prêt à porter la promesse d’une vie accomplie si l’on achète le produit.
Watkins fournit au moins trois images pour la campagne publicitaire. Deux tirages d’époque subsistent, l’un à la Bibliothèque du Congrès, tandis que l’autre est publié dans le New York Times en 1924. La forme moderne de l’image fait écho au texte de la brochure, qui propose un régime de propreté scientifiquement étudié pour obtenir une « peau parfaite ». La sensualité de l’image de Watkins reprend le sens du slogan « Une peau douce au toucher » (qui est aussi renforcé par l’image d’un couple hétérosexuel dans la brochure). Mais la photographie de Watkins revêt une signification plus large (essentielle?), celle du plaisir. Elle est parvenue à l’image publicitaire idéale.
Deux ans plus tard, un directeur artistique de J. Walter Thompson se souvient manifestement du succès de cette photographie, lorsqu’il lui demande : « […] la ligne intérieure du lavabo… ou… les lignes grasses et rondes de la base en porcelaine d’un robinet… une touche élégante de salle de bain moderne. »
Dans son essai sur la publicité et la photographie paru dans l’annuaire de 1926 des Pictorial Photographers of America, Watkins explique que les « objets mécaniques austères » et les « articles courants révélant des courbes et des angles » se sont révélés être les fondements d’un marketing efficace : « La clientèle, même si elle est indifférente aux rythmes circulaires, répond inconsciemment à la clarté de l’énoncé obtenue par la mise en relief de la forme essentielle de l’article. »