Sa Ga Yeath Qua Pieth Tow, roi des Maquas 1710
En 1710, une délégation de quatre dirigeants autochtones – comptant trois Haudenosaunee et un Anishanaabe – se rend à Londres en compagnie de chefs militaires britanniques pour solliciter un appui dans la lutte contre les intérêts français concurrents en Amérique du Nord. Ils sont reçus par la reine Anne, qui commande des portraits de chacun d’eux à l’artiste néerlandais John Verelst (v.1675-1734), établi à Londres. Sa Ga Yeath Qua Pieth Tow, roi des Maquas [Mohawks], 1710, représente Sagayeathquapiethtow – le grand-père de Thayendanegea (Joseph Brant) – un leader mohawk ayant combattu aux côtés de l’empire britannique et mort peu après son retour au Canada. Dans son tableau, Verelst reproduit de manière méticuleuse les tatouages remarquables de son sujet et, bien que leur signification précise demeure inconnue, nous savons que les tatouages haudenosaunee commémoraient non seulement les exploits de guerre de ceux qui les arboraient, mais aussi les liens unissant ces mêmes gens à leur famille, à leur société et à leur environnement, ainsi que des concepts plus abstraits propres à la vision du monde autochtone.
La série de portraits, communément appelée les Four Indian Kings (Quatre rois indiens), comprend également les représentations des autres dirigeants, lesquels sont à l’époque présentés sous les noms respectifs de Ho Nee Yeath Taw No Row « roi de Generethgarich », Etow Oh Koam « Roi de la Nation de la Rivière », et Tee Yee Neen Ho Ga Row « Empereur des Six Nations ». Ces quatre images seront ensuite transposées en mezzotintes par des artistes, dont le graveur anglo-français John Simon (1675-1751), et la production connaîtra un grand succès de vente. Les peintures à l’huile resteront quant à elles en Angleterre, au sein de la collection royale, jusqu’en 1977, date de leur acquisition par Bibliothèque et Archives Canada.
L’œuvre de Jeff Thomas (né en 1956) – un photographe haudenosaunee primé –, tout comme celle de sa compatriote Shelley Niro (née en 1954), interroge la place des peuples autochtones au Canada. En 1990, au sein d’un portfolio, il crée un diptyque dans lequel figurent Sagayeathquapiethtow et Steve Thomas. L’image de droite montre Thomas, un Onondaga, coiffé d’un casque de soudure, une poignée de flèches à la main, photographié près de chez lui dans la réserve des Six Nations, en Ontario. Il s’agit du territoire que les Britanniques avaient accordé à Thayendanegea (le représentant des Six Nations) – mais sans titre de propriété et dont la superficie diminuera considérablement au fil du temps – en compensation des pertes de guerre subies par les Autochtones pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis (1775-1783).
Dans l’œuvre de Jeff Thomas, la juxtaposition des images soulève des questions sur l’interrelation des deux personnages autochtones dans l’espace et le temps. Sagayeathquapiethtow porte un fusil, importé d’Europe, alors que Thomas, près de trois cents ans plus tard, tient des flèches, une arme datant d’une époque antérieure à la colonisation. Sagayeathquapiethtow est tatoué, tandis que Thomas est vêtu d’une chemise à rayures et d’un foulard orné, ce dernier accessoire évoquant visuellement les tatouages de la peinture mais relevant, en fait, d’un style vestimentaire occidental et non pas autochtone. Le casque à visière ouverte de Thomas exprime l’idée de la protection, à l’instar du chien ou du loup à gueule ouverte près de Sagayeathquapiethtow; toutefois, le contraste entre ces images témoigne de l’impact de la colonisation, laquelle se trouve en effet responsable de l’introduction de l’acier, soit le matériau composant les instruments de protection du monde contemporain. Enfin, dans chacune des compositions figure une forêt en arrière-plan. Or, si le paysage de pins et de feuillus verdoyant derrière Sagayeathquapiethtow, censé représenter le sud-ouest de l’Ontario, découle d’une vision fantasmatique occidentale des régions faiblement peuplées, l’environnement boisé où Thomas a été photographié à la fin du vingtième siècle inspire plutôt une nature sauvage, pré-européenne, fort différente de la réalité urbaine qui caractérise la réserve des Six Nations aujourd’hui.