Monument à la mémoire de Joseph Brant 1886
Après la Confédération en 1867, des sculptures commémorant des personnages marquants de l’histoire du Canada ont été érigées sur plusieurs sites publics jugés importants dans le but de promouvoir la fierté nationale. La ville de Brantford inaugure le monument à Joseph Brant pour rendre hommage au chef Kanienʼkehá꞉ka (Mohawk) Thayendanegea (Joseph Brant), ayant combattu aux côtés des Britanniques pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis, de 1775 à 1783, et qui, après la défaite britannique, s’est vu accorder des terres pour son peuple près de Brantford pour récompenser sa loyauté. Dans une pose classique et vêtu de vêtements autochtones, Thayendanegea domine le monument de même que plusieurs autres figures sous ses pieds, qui représentent les chefs des Six Nations : Kanien’kehá꞉ka, Onyota’a:ka (Oneida), Onoñda’gega’ (Onondaga), Gayogohó:no’ (Cayuga), Onödowa’ga:’ (Seneca) et Skarù:rę (Tuscarora). Sakayengwaraton, grand-père de la poète Kanienʼkehá꞉ka Tekahionwake (Pauline Johnson), a combattu aux côtés de Thayendanegea pendant la guerre d’Indépendance. Aussi cette dernière a-t-elle récité ces vers lors du dévoilement. « Young Canada with mighty force sweeps on / To gain in power and strength before the dawn [Le jeune Canada, d’une force prodigieuse, s’avance / Pour gagner en puissance et en force avant l’aube] », a-t-elle déclamé.
En soi, ce mémorial n’a pas grand mérite artistique, mais les faits qui l’entourent le rendent intéressant, tant le contexte et le processus de création que son écho auprès des peuples autochtones du Canada d’autres générations. À l’époque, le sculpteur britannique chargé du monument, Percy Wood (1860-1904), se rend à deux reprises au Canada pour dessiner les chefs des Six Nations. Les figures en argile, puis en plâtre sont coulées en bronze en Angleterre à partir de canons utilisés lors de la bataille de Waterloo, en 1815, et durant la guerre de Crimée, en 1853-1856. Bien qu’il s’agisse d’un projet colonial, les Six Nations voient leur demande réalisée, soit celle d’être représentées sous la forme de totems d’ours et de loups. Notons également leur participation à la collecte de fonds pour la commande.
Les sites commémoratifs de cet ordre deviennent fréquemment l’objet de contestations; cela dit, une œuvre d’art, par définition, n’est pas réductible à une seule et unique interprétation. En 1991, l’artiste kanien’kehá꞉ka Shelley Niro (née en 1954) a photographié ses sœurs en tenue contemporaine à côté du monument, dans le cadre de sa série Mohawks in Beehives (Mohawks dans des ruches). Par cette photographie, elle affirme que la culture autochtone est non seulement historique mais également contemporaine et qu’elle ne peut être tenue en otage par les pratiques assimilatrices du passé. Ce faisant, elle récupère un espace où la véritable présence autochtone avait été effacée par l’idéologie coloniale et son obstination à employer une forme d’art sculpturale occidentale pour honorer Thayendanegea. Son œuvre plus récente, Battlefields of my Ancestors – Grand River (Champs de bataille de mes ancêtres – rivière Grand), 2017, pousse cette idée plus loin et, à l’aide d’images et de documents, elle interroge le paysage transfrontalier que la guerre d’Indépendance des États-Unis a enlevé à son peuple.