La femme du soldat 1941
Dans ce remarquable portrait réalisé par Elizabeth Cann (1901-1976), une épouse de militaire, occupée à des tâches ménagères, s’abîme dans ses pensées. Son visage est encadré de ses cheveux noirs et du dossier de la chaise sur laquelle elle s’assoie. Un calendrier décore le mur à sa droite et un bol à mélanger repose sur ses genoux. Le siège repoussé contre le papier peint fleuri amplifie le sentiment d’oppression qu’inspire le cadre restreint : son bord supérieur, en effet, paraît presque frôler la coiffure de la dame. Le coin de la pièce à sa droite semble également très proche d’elle. Sa chaise rencontre le côté droit de la toile, comprimant encore plus l’espace et renforçant l’impression d’étouffement. Les fleurs gaies du papier peint et de son tablier, combinées aux tons chauds, roses, violets et crème de la peinture, contrastent avec l’air triste du personnage. Sa broche tombante et ses seins affaissés évoquent une immense fatigue et une indifférence à son apparence. Enfin, le mouchoir à moitié sorti d’une poche près de son épaule gauche suggère des larmes fraîchement épongées ou même à venir. Le mystère accompagne de nombreuses compositions de Cann : très théâtrales pour la plupart, elles représentent souvent des femmes semblant isolées, esseulées et détachées de la vie. La femme du soldat, dont on ignore l’identité du modèle, constitue la seule œuvre connue de l’artiste datant de la Seconde Guerre mondiale.
Le caractère unique du portrait de Cann témoigne de la rareté des représentations de femmes ou de civils parmi les portraits militaires. La majorité de ceux-ci se concentre sur les qualités héroïques de leurs sujets. Une œuvre, par exemple, conservée au Musée canadien de la guerre depuis 1974, montre une héroïne civile britannique peinte de manière à ressembler à la protagoniste de la célèbre Assomption de la Vierge, 1516-1518, de Titien (v.1488-1576), artiste de la Renaissance italienne. Portrait of Mrs. Marion Patterson, G.M. (Portrait de Mme Marion Patterson, G.M.), v.1942, du peintre écossais Robert Sivell (1888-1958), qui a étudié en Italie, donne à la surveillante d’incendies d’Aberdeen l’air d’une sainte ayant participé au sauvetage des marins piégés dans les décombres d’un bâtiment bombardé.
Dans une histoire de l’art de guerre canadien centrée sur les accomplissements, le courage et les pertes des hommes, les perspectives féminines sur le conflit sont souvent écartées, surtout dans les collections militaires officielles. Ainsi, la sculpture de la Première Guerre mondiale Grief (La misère du siècle), 1918, de Frances Loring (1887-1968) n’est coulée qu’en 1965, soit près de cinquante ans après que son artiste l’ait sculptée. Aujourd’hui, elle ne se trouve pas au Musée canadien de la guerre, mais au Musée des beaux-arts du Canada. La femme du soldat n’appartient pas non plus à une institution militaire : le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse l’a acquise en 1974. Ces œuvres favoriseraient sans aucun doute une meilleure compréhension des conflits par le grand public si le Musée canadien de la guerre les détenait, mais l’important, dans un monde numérique, est qu’elles y soient associées.