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Corps dans une fosse, Belsen 1946

Corps dans une fosse, Belsen 1946

Alex Colville, Bodies in a Grave, Belsen (Corps dans une fosse, Belsen), 1946
Huile sur toile, 76,3 x 101,6 cm
Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa

Corps dans une fosse, Belsen, une scène de cadavres décharnés dans une fosse commune de Bergen-Belsen, donne une fausse impression de douceur et d’onirisme à l’horrible découverte des plus de 10 000 corps laissés sans sépulture faite après la libération du camp de concentration en 1945. Depuis 2013, avec la mise au jour d’une série de photographies du camp prise par Alex Colville (1920-2013), on sait que les figures de cette peinture sont tirées d’images capturées avec un appareil photo fourni par l’armée. En utilisant ces photographies pour peindre Corps dans une fosse, Belsen à Ottawa un an plus tard, Colville parvient à transcender le moment de l’expérience directe et retravaille ses souvenirs pour en faire un tableau. Il réalise d’abord des croquis de certaines des figures de ses photographies, et c’est seulement par la suite qu’il les intègre à sa peinture en les réorganisant pour conférer à la composition toute la clarté nécessaire.

 

Alex Colville, 1946, photographie de Malak Karsh, collection d’archives George-Metcalf, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Gershon Iskowitz, Condemned (Condamné), v.1944-1946, stylo, encre noire et aquarelle sur papier vélin crème, 71,3 x 54,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Gershon Iskowitz Foundation.

Cette approche a peut-être également permis à Colville de prendre une certaine distance par rapport à l’horreur. Cet aspect de son art de guerre était d’ailleurs critiqué, puisque l’artiste semblait évacuer de sa création toute émotion personnelle ressentie sur le coup. Colville affirmait au contraire que cette distanciation résultait du mécanisme de défense de son corps, empêchant le choc de ce dont il avait été témoin de s’enraciner dans sa psyché. C’est peut-être dans cet esprit que, lors d’une interview réalisée dix ans avant sa mort, il a déclaré que la guerre n’avait pas eu de répercussions majeures sur son œuvre ou sa vie.

 

Nommé artiste de guerre officiel du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale en 1944, Colville voyage avec l’Armée canadienne en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Dans ce dernier pays, il visite Bergen-Belsen après sa libération par les Britanniques en avril 1945. Comme d’autres artistes canadiens tels qu’Aba Bayefsky (1923-2001), auteur de Belsen Concentration Camp Pit (Fosse du camp de concentration de Belsen), 1945, Colville ne sait alors presque rien de l’Holocauste. « Être à Bergen-Belsen était étrange, se souvient-il. Comme je l’ai dit à un certain nombre de personnes… on se sentait mal de ne pas se sentir pire. C’est-à-dire que vous voyez une personne morte et c’est désolant, mais en voir cinq cents n’est pas cinq cents fois pire. Il y a un moment où l’on commence à ne plus rien ressentir. »

 

La réaction de Colville à une expérience aussi traumatisante se compare à celle d’autres artistes. Pour son contemporain Jack Shadbolt (1909-1998), qui a catalogué des photographies des atrocités nazies pour l’Armée canadienne en 1945-1946, l’Holocauste constitue un événement si troublant qu’il domine son art, pourtant non plus lié officiellement à la guerre, tout au long de la décennie qui suit, comme on peut le voir dans les formes squelettiques et battues de Dog Among the Ruins (Chien parmi les ruines) et de Image in Cedar Slash (Image de rémanents de cèdre), toutes deux de 1947. Pour Elaine Goble (née en 1956), les conséquences de l’Holocauste dans son quartier d’Ottawa inspirent The Holocaust: A Family Album (L’Holocauste : Un album de famille), 2001, qui dépeint un couple dont toute la famille a disparu avant 1945 : elle n’existe plus dorénavant que sous forme de photographies défraîchies. Les réactions les plus émouvantes viennent peut-être de ceux qui ont vécu directement les horreurs et qui ont su les rendre dans leur art, comme Gershon Iskowitz (1920/1921-1988) dans la toile Condemned (Condamné), v.1944-1946, un portrait sinistre tiré de ses expériences dans le camp de concentration nazi de Buchenwald.

 

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