Victimes de la modernité 2015
L’œuvre phare Victimes de la modernité témoigne de la profondeur de l’art de Kent Monkman et de la qualité de ses recherches sur le modernisme. Créée initialement sous forme de performance, l’œuvre est ensuite devenue une installation et un film. Dans l’installation, une chambre d’hôpital simulée, dont la fenêtre offre un vaste panorama urbain, un mannequin de Miss Chief Eagle Testickle, habillé en infirmière, soigne une patiente allongée et en aplat, construction cubiste qui ressemble étrangement à l’une des figures des Demoiselles d’Avignon, 1907, de Pablo Picasso (1881-1973). Un appareil d’électrocardiogramme installé à côté de la patiente surveille son rythme cardiaque tandis qu’un cathéter intraveineux alimente son bras tordu. On entend le faible bruit d’une respiration difficile et sifflante, chaque fois que sa poitrine se soulève et s’abaisse. Outre son uniforme rouge et blanc, Miss Chief, dans son style habituel de fashionista, porte des chaussures vernies de couleur rouge à semelles compensées de 15 cm ainsi que des accessoires en diamant, et incarne ainsi le modèle fétichiste de l’« infirmière sexy ».
En face du lit, un téléviseur diffuse un épisode de la populaire émission Victimes de la modernité, dans laquelle Miss Chief et un érudit docteur en beaux-arts jouent avec une distribution de formes et de courants artistiques vulnérables ou oubliés, tels que l’art abstrait, l’art de la performance, l’art conceptuel et le romantisme. La vidéo rappelle les romans-savons américains comme Hôpital central (General Hospital), Dallas ou Dynastie. Ici, néanmoins, les patients de l’hôpital personnifient les courants artistiques en péril.
Le projet avait pris naissance avec une performance tenue le 18 octobre 2013, lorsque Miss Chief a effectué une visite officielle de l’aile moderne du Denver Art Museum. Lors d’une visite guidée par le docteur en beaux-arts de l’institution, Miss Chief, dans son premier rôle parlant en vidéo, évoque par ses mots la princesse Diana, philanthrope à l’âme compatissante et bienveillante qui réconforte les « victimes de la modernité », écrasées et sans vie (Monkman estime que Miss Chief et la princesse Diana partagent un lien spécial, ayant toutes deux connu une relation conflictuelle avec la Couronne).
Dans Victimes de la modernité, Monkman emploie une variété de moyens d’expression, poursuit ses recherches sur la dynamique du regard européen et se fait critique de l’ère moderniste. L’aspect révolutionnaire de la figuration de Picasso, d’Henri Matisse (1869-1954), d’Alberto Giacometti (1901-1966) et d’autres, inspiré des traditions de l’art océanien et africain, a perverti ces dernières, entre autres en ramenant les êtres vivants et les objets inanimés à des formes géométriques bidimensionnelles. Monkman voit dans le caractère réducteur de leur art une métaphore du sort des cultures autochtones face à la modernité.