La résurgence du peuple 2019
L’installation monumentale mistikôsiwak [Wooden Boat People] (mistikôsiwak [Peuple aux bateaux en bois]) a été réalisée pour le Grand Hall du Metropolitan Museum of Art de New York à l’occasion du 150e anniversaire de l’institution en 2019. Pour Kent Monkman, cette commande représente l’apogée de nombreuses années de travail. L’œuvre se compose de deux peintures étroitement associées : Welcoming the Newcomers (L’accueil des nouveaux arrivants), une interprétation de la migration vers l’île de la Tortue (le continent nord-américain), et Resurgence of the People (La résurgence du peuple), qui dépeint un avenir nouveau et optimiste pour les peuples autochtones.
Exécuté par une équipe de dix peintres dirigés par Monkman et basé sur des photos impliquant une quarantaine de modèles, le projet marque l’apothéose de la peinture d’histoire révisionniste de l’artiste. Prouvant l’efficacité de l’art figuratif quand il s’agit de véhiculer un message, l’installation de Monkman évoque des histoires racontées par quelques œuvres de la collection permanente du Met. Son travail a été exposé dans le hall d’entrée du musée, un lieu d’arrivées et de départs à forte charge symbolique et un endroit investi par les touristes.
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Emanuel Leutze, Washington Crossing the Delaware (Washington traversant le Delaware), 1851
Huile sur toile, 378,5 x 647,7 cm
Metropolitan Museum of Art, New York
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Kent Monkman, Welcoming the Newcomers (L’accueil des nouveaux arrivants), 2019
Acrylique sur toile, 335,3 x 670,6 cm
Metropolitan Museum of Art, New York
La résurgence du peuple aborde le thème des mouvements migratoires, à l’origine de la diversité culturelle et ethnique de l’État colonisateur nord-américain. Monkman décrit cette peinture comme une conversation entre « les arrivées, les migrations […] [,] les déplacements de personnes dans le monde » et la générosité des Autochtones. Il s’est inspiré d’images d’actualité montrant des migrants et des réfugiés fuyant dans de petites embarcations et, comme principale source visuelle, il s’est appuyé sur une œuvre de l’artiste américain d’origine allemande Emanuel Leutze (1816-1868), Washington Crossing the Delaware (Washington traversant le Delaware), 1851, conservée dans la collection du Met et peinte soixante-quinze ans après que George Washington ait victorieusement mené un bateau transportant des troupes sur l’autre rive du fleuve Delaware pendant la Révolution américaine.
Dans la composition de Monkman, Miss Chief Eagle Testickle, véritable figure de proue, représente la résilience des peuples autochtones et la résurgence des valeurs essentielles à la survie de l’humanité. Imitant la pose de Washington, elle se tient droite et navigue sur les eaux d’un monde cataclysmique où les peuples autochtones offrent le salut aux expatriés. Sa pose évoque également la statue de la Liberté de New York, qui célèbre la victoire des révolutionnaires américains, sauf que Miss Chief tient une plume d’aigle au lieu d’une torche. Monkman remplace le drapeau du tableau de Leutze par le bâton à coup utilisé par les guerriers autochtones des Plaines en signe de bravoure au combat et il substitue aux marins de Washington des passagers autochtones venant en aide aux personnes à la dérive.
Lors de la soirée d’ouverture de l’exposition au Met, le Grand Hall était peuplé de spécialistes en conservation de l’art contemporain, en direction d’institutions culturelles et aussi d’artistes, tous rassemblés pour faire l’éloge de Monkman. La performance de Miss Chief a été accueillie par une ovation debout. L’événement constituait une véritable célébration marquant un moment charnière dans la décolonisation des grands musées aux États-Unis. Selon le New York Times, « Miss Chief est l’avatar d’un avenir global qui verra l’humanité dépasser les guerres d’identité – raciales, sexuelles, politiques – dans lesquelles elle est aujourd’hui dangereusement immergée ». Son action était un signe des changements à venir. Le Met a acquis le diptyque en octobre 2020 et le projet a inspiré d’autres institutions à inviter Monkman pour qu’il vienne fouiller leurs collections en quête d’histoire colonialiste à réviser.