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Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire [de l’ambassade des États-Unis à l’ambassade du Japon, Séoul] 2006

Jin-me Yoon, Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire [de l’ambassade des États-Unis à l’ambassade du Japon, Séoul], 2006

Jin-me Yoon, The dreaming collective knows no history [US Embassy to Japanese Embassy, Seoul] (Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire [de l’ambassade des États-Unis à l’ambassade du Japon, Séoul]), arrêt sur image, 2006

Vidéo monocanal, 18:09

L’œuvre Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire [de l’ambassade des États-Unis à l’ambassade du Japon, Séoul] est une vidéo créée par Jin-me Yoon lors d’une résidence au Ssamzie Space de Séoul, en Corée. L’artiste se traîne sur le sol, entre les ambassades du Japon et des États-Unis, à Séoul. Les deux sites évoquent l’histoire du colonialisme japonais en Corée (1910-1945) et de l’impérialisme américain à travers la longue guerre froide, qui continue de stationner plus de 25 000 soldats en Corée du Sud. Yoon souligne ces histoires violentes en évoquant, dans sa performance, les corps ravagés par la guerre et la lutte physique, qui sont des souvenirs occultés dans une Corée contemporaine qui priorise les promesses lisses et brillantes du capitalisme avancé. Œuvre précurseure, Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire critique la vitesse fulgurante du progrès en Corée et son coût humain – un aspect central de la culture populaire coréenne dans des films comme Parasite (2019) et la série télévisée Squid Game [v.f. Le jeu du calmar] (2021).

 

Alors que Yoon se traîne sur une plateforme le long du trottoir, des hommes d’affaires bien mis passent devant elle sans établir de contact visuel ou la regardent à bonne distance, comme s’ils étaient gênés par sa présence, craignant la contagion. Pour le public de l’œuvre, il n’est pas aussi simple de maintenir une distance avec le sujet, car le son de la vidéo est insistant, laissant entendre les vibrations des roues, la respiration laborieuse de Yoon et les secousses de la planche lorsqu’elle la pousse sur le sol. L’observation de la douloureuse progression de l’artiste, qui se déplace péniblement d’un site symbolique de l’oppression coloniale (l’ambassade du Japon) à un site contemporain de subjugation et de complicité (l’ambassade des États-Unis), met en évidence l’effort physique, la friction et la difficulté, le tribut payé par son corps étant manifeste à chacun de ses mouvements. Cette œuvre donne le coup d’envoi à une série de projets qui créent des paradigmes alternatifs de pensée, d’expérience et de représentation transcendant l’amnésie historique de la modernité d’après-guerre, portée sur l’avenir.

 

Jin-me Yoon, As It Is Becoming [Beppu: Atomic Treatment Centre] (Telle qu’elle devient [Beppu : Centre de traitement atomique]), arrêt sur image, 2008, vidéo monocanal, 10:33.

Par cette œuvre, Le collectif rêveur ne connaît aucune histoire, Yoon se révolte contre l’avancée vertigineuse du progrès économique qui l’entoure et fait pivoter son corps vêtu de noir d’un axe vertical, comme dans Fugitive [Unbidden] (Fugitif [Indésirable]), 2003-2004, à un axe horizontal, explorant l’environnement urbain latéralement. Dans certaines œuvres de cette période, Yoon défigure son corps à l’aide de diverses prothèses, afin d’évoquer des souvenirs profondément refoulés et d’horribles vérités politiques. Dans d’autres, elle traverse des paysages urbains, ses mouvements horizontaux étant conçus pour bouleverser les récits visuels modernistes, axés sur le progrès, et pour explorer les courants sous-jacents de l’histoire et de la société contemporaines. Le monde à l’envers qu’elle génère est incarné par de multiples éléments, notamment dans des œuvres telles que As It Is Becoming [Seoul] (Telle qu’elle devient [Séoul]), 2008, une installation qui incorpore plusieurs vidéos de performances exploitant l’action de ramper. Par ces vidéos projetées par l’entremise de moniteurs posés sur le sol ou des projections montrées à l’envers, Yoon force la personne spectatrice à réorienter son corps lorsqu’elle regarde l’œuvre.

 

Oubliant les millénaires d’évolution qui ont mené les êtres humains à la bipédie, Yoon adopte une posture horizontale dans le but de sonder les histoires difficiles de l’humanité par l’expérience corporelle. Ces œuvres de reptation latérale sont en dialogue avec l’art de l’endurance des années 1960 et 1970, et elles sont souvent comparées aux reptations de William Pope.L (né en 1955) dans les rues de New York, vêtu en complet-veston ou en habit de Superman. Si les deux artistes critiquent le capitalisme, les reptations de Pope.L illustrent son échec, alors que les œuvres de Yoon se penchent sur son succès. Pope.L cherche à donner de la dignité aux personnes qui vivent l’itinérance et la dégradation de leurs conditions de vie; Yoon révèle les angoisses et les souvenirs de guerre qui se cachent en filigrane de la vie, dans une Corée encore militarisée, mais nouvellement prospère.

 

En avance sur leur temps, ces œuvres mettent à nu les conséquences de la guerre froide non résolue en Asie, occultées par la réussite économique des « dragons asiatiques » – Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong et Singapour. Ces histoires régionales d’importance mondiale ont ensuite été reprises par des artistes comme Koizumi Meiro (né en 1976), dans la performance Voice of a Dead Hero (Voix d’un héros mort), 2010, où, habillé en vétéran de guerre japonais, l’artiste rampe dans les rues de Tokyo et hante les gens qui font leurs courses; ou encore Ho Tzu Nyen (né en 1976) qui, dans Hotel Aporia (Hôtel Aporia), 2019, réveille les histoires longtemps dissimulées de l’impérialisme japonais en Asie.

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