entre départ et arrivée 1997
Première œuvre de Jin-me Yoon à incorporer l’audio et la vidéo et à être mise en exposition, between departure and arrival (entre départ et arrivée) est une installation qui occupe la totalité d’une pièce. Présentée pour la première fois en 1997 au centre d’artistes autogéré Western Front de Vancouver, cette œuvre marque le moment où l’artiste délaisse les projets qui critiquent les constructions sociales de l’identité nationale, le plus souvent par des marqueurs visibles de la race, comme Souvenirs of the Self (Souvenirs du moi), 1991, et A Group of Sixty-Seven (Un groupe de soixante-sept), 1996. Elle se consacre désormais à une pratique qui aborde le temps, l’histoire et la mémoire – la conscience – par une esthétique du déplacement qui explore l’expérience d’habiter simultanément plusieurs langues, cultures et lieux.
L’œuvre est composée de quatre parties. L’entrée de l’espace d’installation est indiquée par des horloges : deux, lorsqu’elle a été montée à Vancouver, et trois, lorsqu’elle a été installée ailleurs, pour signaler des schémas temporels enchevêtrés – par exemple, Séoul, Vancouver et Toronto dans le cas de l’exposition de 1997 au Musée des beaux-arts de l’Ontario (MBAO). Une vidéo de nuages, prise depuis un avion dont on aperçoit parfois le hublot, occupe le mur du fond de l’installation, devant lequel est suspendu un rouleau de toile polyester Mylar. Sur cette toile est imprimée une image du sommet de la tête d’une femme coréenne, les cheveux tombant en deux mèches, la raie disposée au milieu. Caché derrière le rouleau, un petit écran vidéo présente un montage de séquences historiques représentant des personnes asiatiques immigrant au Canada et les événements qui ont guidé et contrôlé leurs mouvements : la construction du Chemin de fer national du Canada à la fin des années 1800, qui a fait appel à des travailleurs chinois; un certificat de taxe d’entrée pour les personnes chinoises (v.1885-1923); des scènes de l’industrie de la pêche de la côte Ouest, qui a amené des pêcheurs japonais au Canada; des images de l’internement des personnes japonaises en Colombie-Britannique pendant la Seconde Guerre mondiale; et des images de la guerre de Corée (1950-1953).
La succession de vidéos devient un palimpseste de souvenirs transportés et d’histoires difficiles qui se prolongent dans le présent. Yoon termine la séquence par une vue depuis les sièges arrière des taxis qui circulent dans les rues de Vancouver et de Séoul, comme si elle traînait la caméra derrière elle alors qu’elle navigue dans les réalités du présent. Une voix féminine hors champ accompagne le collage vidéo :
Elle était au beau milieu d’une phrase, en plein vol, quelque part au-dessus du Pacifique. Elle a ressenti cette sensation familière et étrange, comme si son corps se dédoublait. Séparée. Droite au milieu, comme la ligne de séparation des cheveux de sa grand-mère. Séparée, comme le pays où elle est née. Blessée. Toute détachée au niveau du nombril, mais pas la même. Pas toute déchirée, arrachée et éparpillée. Elle, avec sa langue brisée. Cicatrice. Marquant le nord. Marquant le sud. 38e parallèle.
Parler. Parler de cette barre oblique. Elle. La violence de ceci/cela, soit/ou, nous/eux, sujet/verbe/objet. Elle. Un domicile entre un ici et un là-bas.
Yoon fait se rencontrer deux formes de mobilité : la nomade mondiale (fuseaux horaires, avions) et le sujet diasporique (histoires difficiles, scissions, cicatrices); chacune se superpose à l’autre, compliquant la distinction racisée entre expatriée et migrante. En situant les expériences de migration et de mouvement dans des corps réels et des biographies réelles ainsi que dans l’apesanteur des nuages vus d’un avion, entre départ et arrivée s’inscrit dans des histoires enchevêtrées, tout en permettant à différentes formes de mobilité de façonner la conscience et les identités.