Huit bottes rouges 1973
Dans Huit bottes rouges, Gathie Falk présente huit versions céramiques de bottillons en cuir pour hommes, avec fermeture à glissière, dans une vitrine en bois comportant quatre tablettes et deux portes vitrées fermées. Chaque chaussure est modelée pour le pied droit, sans sa partenaire de gauche, et positionnée pour en révéler l’intérieur, avec la cambrure et la fermeture à glissière abaissée sur chaque bottillon. C’est le genre de vitrine que l’on peut voir dans une boutique de chaussures ou chez un cordonnier, sauf pour un détail inhabituel : les bottillons sont faits de céramique et émaillés d’un rouge riche et profond, tandis que la vitrine en bois est peinte pour s’harmoniser aux bottes.
Après la série Fruit Piles (Amas de fruits), les chaussures en céramique disposées en armoires sont sans doute les œuvres les plus reconnaissables de Falk. Huit bottes rouges, qui appartient à la collection du Musée des beaux-arts du Canada, est particulièrement connue. Les chaussures sont un élément récurrent dans l’œuvre de Falk : elles sont au cœur de Skipping Ropes (Cordes à sauter), une performance qu’elle crée en 1968, on les retrouve sous forme céramique partout dans son œuvre et elles apparaissent, répétées, dans l’œuvre photographique monumentale, Crossed Ankles (Chevilles croisées), 1998. Comme Falk le remarque dans son autobiographie, « Dès la première fois que j’ai utilisé des chaussures, lors de ma performance dans un atelier en 1968, j’ai compris leur puissance domestique, leur capacité à symboliser la présence humaine, mais aussi les activités humaines – les tâches accomplies, les distances parcourues – sans prétention ».
Comme les chaussures dans Huit bottes rouges ne sont pas conçues en paires, elles évoquent l’absence des personnes qui les portent. Bien que la présentation en série de chaussures semblables semble répondre à la quête du pop art de célébrer les objets de consommation, la personnalisation des chaussures par Falk, à travers l’évocation de leurs propriétaires manquants, de même que par la manipulation de l’argile, donne lieu à une œuvre qui est campée dans le quotidien tout en n’ayant rien à voir avec celui-ci.
Marilyn Levine (1935-2005), artiste californienne ayant grandi à Calgary, produit aussi des chaussures en argile au moment précis où Falk crée cette œuvre. Les deux femmes ne se connaissent peut-être pas, mais par leur pratique de la sculpture céramique, elles sont toutes les deux associées au mouvement de l’art funk. En comparant les chaussures masculines de Falk avec celles produites par Levine – par exemple, dans John’s Mountie Boots (Les bottes de police montée de John), 1973 –, il devient évident et combien important de se tourner vers un récit plus nuancé de l’histoire de l’art pour replacer Falk dans son contexte précis. La comparaison révèle que Falk recourt à la couleur, à la répétition et à la mise en scène pour créer des œuvres qui rendent l’ordinaire extraordinaire, plutôt qu’elle ne se contente d’une approche en trompe-l’œil dans la représentation du quotidien, telle que privilégiée par Levine.