L’art structuriste d’Eli Bornstein s’inscrit dans une tradition moderniste reconnue qui s’étend de l’impressionnisme français à l’abstraction radicale du courant néerlandais De Stijl. Descendant dévoué des transcendantalistes des États-Unis, Bornstein consacre son art à la vitalité du monde naturel, qu’il réinvente et réévoque à travers d’audacieuses configurations chromatiques et géométriques. Il est également un auteur prolifique et le rédacteur en chef du périodique à diffusion internationale The Structurist, publié à l’Université de la Saskatchewan de 1960 à 2020. Innovant par la création de ses reliefs abstraits dynamiques, Bornstein se définit finalement comme un artiste « bâtisseur », qui jette une lumière nouvelle sur les merveilles de la nature par ses compositions tridimensionnelles.
De la représentation à l’abstraction
Depuis les années 1950, Eli Bornstein contribue de manière exceptionnelle à l’art abstrait au Canada. Il qualifie son travail de « structuriste », un terme qui pourrait simplement se définir par « bâtisseur ». Dès le début, il rejette l’étiquette de « structurisme », car, insiste-t-il, une telle terminologie limiterait l’œuvre à une école ou à un style particulier, comme le cubisme ou le minimalisme.
Jeune artiste, Bornstein ne se doute probablement pas qu’il se dirige vers l’abstraction. Pourtant, il développe très tôt un sens aigu de sa propre place dans l’histoire de l’art moderniste, depuis les impressionnistes. Au milieu des années 1950, quand il adopte le modèle structuriste, il ne s’agit pas d’une évolution spontanée, il s’y prépare déjà depuis quelque temps, avançant pas à pas vers cette étape de son parcours créatif.
Bornstein acquiert d’abord des connaissances en visitant les musées de Milwaukee et de Chicago, mais c’est auprès de l’artiste américain Charles Biederman (1906-2004), dont il lit l’ouvrage Art as the Evolution of Visual Knowledge (1948) pour la première fois en 1954, qu’il apprend surtout à affiner sa conception de l’art en tant que pratique évolutive. Dans son essai fondateur, tel un manifeste, « Transition Toward the New Art », et dans des écrits subséquents, Bornstein affirme que la connaissance de l’histoire est cruciale : « Comment établir son identité pour l’artiste et donner un sens à ses activités autrement qu’en ayant conscience de ses origines et des réalisations de ses ancêtres? » Pour paraphraser Bornstein, comment peut-on progresser et se développer sans s’appuyer sur les explorations et les réalisations des personnes qui nous ont précédées?
Pour Bornstein, qui est fasciné par les jeux de lumière dès ses premières peintures réalistes des années 1940, tout commence avec l’impressionnisme : l’évocation de la lumière, les coups de pinceau rompus, les points et les touches de couleur. Il apprend par la suite des postimpressionnistes, en particulier de Paul Cézanne (1839-1906), à imposer une structure plus formelle à l’impressionnisme, ce dont témoigne l’œuvre Boats at Concarneau (Bateaux à Concarneau), 1952. En 1953 et 1954, il explore avec enthousiasme les applications possibles du cubisme analytique, notamment par l’entremise des paysages urbains fracturés du peintre germano-américain Lyonel Feininger (1871-1956), qui s’inscrit précisément dans le sillage de ses propres vues éclatées des villes de Paris et de Saskatoon.
En parallèle, les sculptures de Bornstein suivent un parcours comparable, passant de la sculpture en ronde-bosse à la construction cubiste ouverte de Aluminum Construction [Tree of Knowledge] (Construction en aluminium [Arbre de la connaissance]). Cette œuvre, ainsi que l’aquarelle The Island (L’île), toutes deux réalisées en 1956, constituent les points culminants de la phase figurative de Bornstein. Dès 1957, à l’instar de Jack Bush (1909-1977) à Toronto et de Lionel LeMoine FitzGerald (1890-1956) à Winnipeg, il partage l’opinion répandue dans les milieux artistiques du temps selon laquelle l’art figuratif n’offre plus d’options intéressantes. Bornstein adopte donc le relief abstrait, sans jamais revenir en arrière.
Le catalyseur de Bornstein est l’œuvre du peintre Piet Mondrian (1872-1944), sans doute l’artiste le plus important qu’il étudie lors de ses voyages en Europe de 1956 à 1957 pendant son congé sabbatique. Dans son article de 1958 paru dans Structure, « Transition Toward the New Art » (le « nouvel art » bientôt appelé relief structuriste), Bornstein reproduit Composition avec plans de couleur 2 , 1917, de Mondrian, en le juxtaposant à l’un de ses premiers reliefs, comme pour souligner l’impact de l’artiste hollandais au moment même où il abandonne la représentation pour se tourner vers l’abstraction. L’année 1917 est une année de transition également pour Mondrian qui franchit une étape décisive dans l’année qui suit, en supprimant tout naturalisme résiduel et en enfermant bientôt ses plans de couleurs primaires dans des grilles rectilignes, plates et concises – voir, par exemple, sa Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu, 1921. Son intention est alors de distiller son vocabulaire formel dans un langage abstrait qui pourrait, aussi simplement et purement que possible, exprimer sa quête de « beauté idéale absolue », un concept qui expulserait complètement de sa peinture toutes les intempéries capricieuses de la nature, celle que représente Bornstein pour la dernière fois dans les brumes chatoyantes de L’île.
Prêt à suivre Mondrian, Bornstein se libère des artifices de la représentation et adopte ses compositions rectilignes et ses couleurs primaires, comme dans Structurist Relief No. 1 (Relief structuriste no 1), 1966. Il n’arrive toutefois pas à souscrire au refus de la réalité quotidienne prôné par le moderniste néerlandais. La peinture évoluée ne peut peut-être plus « imiter » la nature, mais dans l’esprit de Bornstein, Mondrian s’égare en tournant le dos au monde réel. Comment peut-on toutefois honorer la formidable contribution formelle du cofondateur de De Stijl à l’art abstrait sans renoncer à la conviction que l’art doit englober la nature? Comment rejeter la peinture figurative tout en conservant la nature comme sujet? La solution que trouve Bornstein tient dans le relief structuriste. En travaillant dans le cadre de ces règles, il peut, d’une part, rester fidèle à l’abstraction sophistiquée de Mondrian. D’autre part, le relief lui permet de réorienter le vocabulaire de Mondrian en le libérant des aplats de la peinture et en le redéployant en structures solides colorées et tridimensionnelles soumises aux lois de la gravité, de la lumière et du temps.
Vers la nature
Pour Eli Bornstein, il est acquis d’emblée que le relief structuriste, même abstrait, doit s’inspirer de la nature. Il doit cependant se garder de l’imiter. La stratégie de Bornstein ne consiste pas à copier, mais à réinventer en utilisant des blocs colorés de formes et de teintes différentes pour construire des métaphores visuelles des couleurs et des événements propres à la nature Bornstein construits ses reliefs à partir de la base, pour ainsi dire, ou plutôt à partir d’un mur. Les reliefs coexistent avec nous dans l’espace réel. Nous les percevons tant viscéralement que visuellement. Bref, nous interagissons avec les reliefs structuristes comme avec d’autres objets, tels que des tables et des chaises, à ceci près que la fonction des meubles est pratique alors que celle des reliefs structuristes est esthétique. De plus, comme la nature qui est mouvante, les reliefs ne sont jamais des objets fixes. Ils changent d’aspect lorsque nous changeons de point de vue et en fonction de la lumière qui les frappe et des ombres qu’ils projettent.
Au milieu des années 1950, les premiers reliefs, comme Structurist Relief No. 14 (Relief structuriste no 14), 1957, comportent peu de couleurs : des blancs et une ou deux couleurs primaires. Bornstein cherche alors sa voie. Ses reliefs insistent pourtant déjà pour nous ancrer dans le monde réel. Structurist Relief No. 4 (Relief structuriste no 4), 1957, nous montre le fonctionnement. Tout d’abord, nous apercevons à l’avant le jeu de composition entre les six plans de tailles et d’épaisseurs légèrement différentes, cinq plans blancs et un plan bleu. Nous remarquons ensuite que l’œuvre est fortement éclairée par la gauche, provoquant un jeu capricieux d’ombres portées par les plans.
Ces ombres varient en lourdeur et en légèreté, de sorte que les plans semblent tous flotter différemment. À l’extrême droite, l’un des plans est repoussé si précipitamment vers la limite du fond qu’il veut littéralement s’échapper, avec son ombre, dans le monde extérieur. Il ne s’agit toutefois que d’un seul point de vue, d’une seule position. Un changement d’angle de la lumière – ou d’heure du jour si le relief est éclairé naturellement – engendre alors un nouveau jeu visuel. Le monde est en perpétuel mouvement.
Puis, au fur et à mesure que ses observations du monde naturel deviennent plus intimes, Bornstein apprend à embrasser les couleurs des paysages devant lui. Structurist Relief No. 3-I (Relief structuriste no 3-I), 1964, date d’un séjour estival dans le parc Algonquin. On imagine l’artiste se baladant dans les bois ou assis au bord d’un lac, recensant dans sa tête les couleurs du ciel et de l’eau, les aiguilles de pin et les feuilles de bouleau, les fougères et la mousse dans le sous-bois, les fleurs, et tombant peut-être sur une pousse prématurément mourante qui vire déjà à l’orange.
Bornstein isole toutes ces expériences chromatiques, les concentre et les transforme en ce qu’il appelle ses « molécules de couleur » : les blocs, les bandes et les plans de couleur deviennent les notes qui forment sa composition en relief finale. Les reliefs structuristes, bien qu’immersifs dans la nature, n’en sont pas les miroirs. Il s’agit plutôt d’objets nouveaux qui sont intégrés dans le champ visuel de la personne spectatrice, à l’intérieur duquel les processus de la nature – dans ce cas-ci, ceux des forêts du nord de l’Ontario – sont reproduits.
Cette métamorphose, c’est-à-dire le processus de construction structuriste qui en est à l’origine, Bornstein la qualifie métaphoriquement d’« organique ». « Grâce au développement “organique” de la couleur dans l’espace et la lumière, affirme-t-il, l’aspect mécanique et technologique du relief construit peut être transcendé » et transformé « en chaleur de l’expression humaine. »
Embrasser la transcendance
Sur le plan formel, l’œuvre structuriste d’Eli Bornstein s’inscrit dans la lignée du modernisme européen du début du vingtième siècle. En revanche, sur le plan thématique, son dévouement aux pouvoirs réparateurs de la nature intacte est plus précisément nord-américain et enraciné dans le transcendantalisme, un mouvement intellectuel du dix-neuvième siècle fondé en Nouvelle-Angleterre qui soutient que toute la création est unifiée, que l’humanité est essentiellement bonne et que l’intuition l’emporte sur la raison.
Le relief structuriste est imprégné de la « fibre américaine », comme l’exprime Bornstein dans une entrée de son journal intime intitulée « Emersonian Continuities [Continuités émersoniennes] ». « Il existe un fil conducteur vital qui relie le relief structuriste nord-américain aux écrits de Ralph Waldo Emerson (1803-1882), d’Henry David Thoreau (1817-1862) et de Walt Whitman (1819-1892), parmi d’autres, ainsi qu’à l’architecture de Louis Sullivan (1856-1924) et de Frank Lloyd Wright (1867-1959) », note-t-il. Selon lui, les transcendantalistes constituent notre héritage « littéraire, philosophique, géographique et environnemental ». Si l’œuvre de modernistes européens tels que Piet Mondrian incite Bornstein à adopter un art non représentatif, les transcendantalistes nord-américains stimulent sa dévotion à la nature et son engagement profond dans la couleur.
En raison de leur relation directe avec la nature, Bornstein qualifie les transcendantalistes de « réalistes » dans l’âme. Le relief structuriste est tout autant « réaliste », comme Bornstein et Biederman le soutiennent dans leurs articles parus dans le numéro de 1958 de la revue Structure. L’observation directe et l’expérience immédiate, insistent-ils, sont essentielles pour que l’artiste réalise la « palpabilité de la nature créatrice ». Le travail des structuristes est donc un travail objectif, voire scientifique. Il ne doit jamais être considéré comme un art « expressionniste » qui ne met aucun accent sur la psychologie interne. Bornstein écrit que l’art n’est pas une question de subjectivité individuelle ou de sentiments personnels, car « l’art et la nature sont plus grands que la personne en tant qu’individu », plus grands que son « ego et son moi inconscient ». Bornstein considère que l’expressionnisme, sous toutes ses formes, est narcissique. C’est « une fuite de la réalité » qui ne peut conduire qu’à « la confusion et à l’absence de direction ».
L’artiste structuriste, au contraire, regarde le monde avec le « globe oculaire transparent » tant célébré par Emerson, qui bannit tout égotisme et ne différencie pas le moi de l’Être universel. Emerson n’accepte aucune distinction essentielle entre l’expérience subjective et l’expérience objective, soutenant plutôt que la vérité idéale et transcendantale coïncide avec l’étoffe de la réalité et coule avec elle de manière directe et inséparable. Whitman, lui aussi, estime que « le plus grand poète possède moins un style marqué et qu’il est plutôt un canal pour la pensée et autres choses sans augmentation ni diminution […] Ce que je dis, je le dis précisément pour ce que cela veut dire ». Selon Marsden Hartley (1877-1943), écrivain influencé par le transcendantalisme, tout ce que l’artiste peut vouloir représenter et exprimer individuellement n’a en soi « aucune importance ».
Dans un article paru en 2009, Bornstein résume la distinction entre l’art expressionniste et la portée holistique de son art structuriste :
Certaines œuvres d’art peuvent être considérées comme le reflet de notre propre image, de notre intériorité, de certains aspects de nos préoccupations humaines, de nos conflits et de notre créativité. D’autres cultures et d’autres types d’art se sont davantage axés sur de plus vastes processus naturels et cosmiques, dont l’être humain n’est qu’une partie infime et éphémère, et y sont interreliés. Le premier point de vue est anthropocentrique, tandis que l’autre est plus écocentrique.
L’art structuriste de Bornstein est entièrement consacré à la position écocentrique, évoquant le flux du monde naturel à travers notre perception du comportement dynamique de ses reliefs tridimensionnels dans la lumière et l’espace.
L’art, un acte de dévotion
L’idée voulant que la nature soit spirituelle, véhiculée soit par le transcendantalisme, soit par d’autres approches « spiritualistes » du paysage, influence nombre de paysagistes au pays. Adeptes de littérature transcendantale, les incomparables Lawren S. Harris (1885-1970) et Emily Carr (1871-1945), s’expriment avec des termes équivalents. Par exemple, dans les années 1920 et 1930, Harris parle des sublimités de la nature depuis les hauteurs de la théosophie et Emily Carr utilise un langage intimement chrétien. Pour le laïc convaincu qu’est Bornstein, le problème consiste à savoir comment exprimer son propre émerveillement, si semblable au leur : « C’est l’incapacité de la langue écrite ou parlée de trouver les mots adéquats pour décrire l’expérience », note-t-il dans son journal intime. « Les termes “spirituel”, “émotionnel”, “esthétique”, “réaction sensorielle suprême” et “religieux” ne parviennent pas à capter ou à décrire une telle expérience de manière complète ou à notre entière satisfaction. » Néanmoins, comme il l’a déjà conclu en écrivant dans The Structurist en 1970 :
La création artistique, dans son sens le plus profond, est une forme de dévotion, une prière. En tant que telle, il s’agit d’une communion avec la nature et avec d’autres êtres humains. Dans le meilleur des cas, c’est un acte de croyance en la vie. Transcendant l’ego, l’art s’étend au-delà de lui-même, vers des valeurs et des significations plus grandes que le moi […] Ici, l’art est essentiellement un acte religieux, au sens le plus profond du terme « religieux. »
Le passage est presque mystique et rattache, tant spirituellement que formellement, les paysages abstraits en relief de Bornstein – en particulier les multiplans horizontaux ultérieurs – à la tradition que j’appelle ailleurs peinture de paysages symbolistes nordiques.
On peut soutenir que Bornstein est un descendant involontaire de cette lignée, qui comprend des artistes d’Europe du Nord comme Harald Sohlberg (1869-1935), Ferdinand Hodler (1853-1918) et Piet Mondrian (avant sa période abstraite) ainsi que des artistes d’Amérique du Nord comme Marsden Hartley, Georgia O’Keeffe (1887-1986), Harris et Carr. Ce courant de peinture tire également son origine de l’impressionnisme français, mais, à la fin du dix-neuvième siècle, elle émerge d’une confrontation renouvelée avec la nature sauvage nordique propre aux artistes. Sous l’impulsion d’un malaise spirituel naissant, ces artistes cherchent à voir au-delà des apparences et à découvrir une partie de l’esprit intérieur de la nature. « La vie éternelle se fait ressentir partout dans les activités de la nature », écrit le peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) alors que lui et ses collègues paysagistes nordiques abandonnent la représentation réaliste pour concevoir de nouvelles structures picturales qui refléteraient la vie de l’âme. À l’exception de Mondrian, Bornstein n’a guère l’occasion de connaître ces artistes, mais leurs tableaux partagent des stéréotypes de composition nés de convictions similaires. Bornstein les déconstruit et les repense en fonction de ses impulsions artistiques personnelles et de ses propres termes structuristes tridimensionnels.
Si ce ne sont pas des artistes du relief, quelques personnalités contemporaines de Bornstein ont produit des œuvres également vouées au paysage sublime, notamment les vues transformées du nord du Manitoba saisies en hélicoptère par Gershon Iskowitz (1919-1988), qui ne sont qu’allusions paysagistes; les vues de ciel rococo-sublimes de Charles Gagnon (1934-2003); les « enchevêtrements » de Gordon Smith (1919-2020) créés sur la côte Ouest en fin de carrière; ou, plus récemment, les images de paysages sublimes à grande échelle générées numériquement par Christian Eckart (né en 1959).
Les préoccupations écologiques et environnementales
Eli Bornstein célèbre le monde naturel tout en partageant une vision progressiste, voire utopique, avec les mouvements abstraits du début du vingtième siècle, qui soutiennent que l’art peut s’appliquer de manière pratique à la vie contemporaine et à l’amélioration du bien commun. Ainsi, il écrit dans son journal :
Tout comme les espaces de végétation sauvage, tels que les arbres et l’herbe (ainsi que les étendues libres de ciels et d’eau) sont nécessaires à la santé humaine, peut-être même une exigence génétique à notre survie dans nos paysages technologiques urbains que nous avons construits, l’art, comme la musique, peut, ou devrait, fournir le type d’inspiration, de tranquillité et de sentiment d’appartenance dans nos environnements de plus en plus hostiles ou inhumains. Comment mener une vie saine, paisible et relativement simple dans notre monde de plus en plus complexe demeure une question primordiale à laquelle nous sommes confronté·es au vingt et unième siècle.
Tel est, à toutes fins utiles, l’énoncé de mission du périodique The Structurist, que Bornstein fonde en 1960 et publie régulièrement, à l’échelle internationale, jusqu’en 2010 (avec un numéro anniversaire en 2020). Selon l’historien de l’art Oliver A. I. Botar, ce projet d’édition est l’une des « plus importantes réalisations de Bornstein au sein du paysage de l’histoire de l’art et de l’histoire intellectuelle du Canada ». Botar souligne également que le périodique de Bornstein déclare son idéologie écologique et environnementale « des années avant que l’art politiquement engagé prenne son essor à partir de la fin des années 1960, et bien avant que le fasse tout autre périodique artistique canadien ».
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Eli Bornstein avec l’épreuve de la couverture du numéro de 1997-1998 de la revue The Structurist, 1998
Photographie non attribuée, Université de la Saskatchewan, archives universitaires et collections spéciales
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Couverture de la revue The Structurist, no 11, « An Organic Art [Un art organique] »
Eli Bornstein, dir., Saskatoon, Université de la Saskatchewan, 1971 -
Couverture de la revue The Structurist, no 49-50, « Toward an Earth-Centred Greening of Art and Architecture [Vers une écologisation de l’art et de l’architecture centrée sur la terre] »
Eli Bornstein, dir., Saskatoon, Université de la Saskatchewan, 2009-2010
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Couverture de la revue The Structurist, no 2, « Art in Architecture [L’art dans l’architecture] »
Eli Bornstein, dir., Saskatoon, Université de la Saskatchewan, 1962
Au fil des ans, un grand nombre d’artistes, d’architectes et de sommités intellectuelles du monde entier collaborent à The Structurist, y compris : Josef Albers (1888-1976), Naum Gabo (1890-1977), Walter Benjamin (1892-1940), Erwin Panofsky (1892-1968), Murray Adaskin (1906-2002), Marshall McLuhan (1911-1980), George Woodcock (1912-1995), Elizabeth Willmott (née en 1928), Zaha Hadid (1950-2016) et Arne Næss (1912-2009). Plus récemment, la revue a accueilli une longue liste de jeunes contributrices et contributeurs internationaux, ainsi que des écrits de Bornstein lui-même, publiant des essais ou des entretiens dans chaque numéro. Le périodique s’est penché sur l’art et ses relations avec la science, la technologie, la musique, l’architecture, la littérature, la philosophie, la religion et l’environnement, et beaucoup de ses articles ne sont pas directement associés à l’art structuriste.
Comme Bornstein l’explique, c’est dans un esprit de libre investigation qu’il a sollicité des articles qui constituent des « défis significatifs et provocateurs » envers sa propre position artistique : « Il semble de plus en plus évident que ce qui nourrit véritablement l’art ne se trouve pas uniquement dans les écrits sur l’art ». Selon lui, les réels problèmes auxquels l’art se heurte sont plutôt liés aux problèmes créés par la société et l’humanité elle-même. La couverture du numéro de 1971 de The Structurist, ornée de la Terre vue de l’espace, image emblématique de la NASA, « est entièrement consacrée à la relation entretenue par l’humanité et la nature dans un cadre de production artistique, certainement la première publication éco-artistique au Canada, et l’une des premières au monde ». Plus tard, Bornstein déclare sa sympathie critique envers Earth First! (actif depuis 1980), peut-être le plus radical des groupes d’activistes écologistes, et Adbusters (en activité depuis 1989), la revue anticonsumériste et écologiste de Vancouver. Le numéro 2009-2010 de The Structurist est sous-titré « Toward an Earth-Centred Greening of Art and Architecture [Vers une écologisation de l’art et de l’architecture centrée sur la terre] ».
Ce que Bornstein a écrit dans son journal intime en 2012 témoigne qu’il ressent l’urgence écologique et environnementale : « Le dysfonctionnement écrasant qui imprègne notre culture mondiale appelle à l’émergence d’un éthos avec un besoin et une détermination pour explorer une nouvelle architecture de même qu’un nouvel art durables et cohérents qui conduisent vers une renaissance vitale et vers l’efflorescence d’une nouvelle harmonie, d’une nouvelle beauté et d’un nouvel enrichissement pour notre monde futur. »