La cuisine de Knothole 1959

Cette image présente la vue recadrée d’une cuisine rustique, agrémentée d’un comptoir sur la gauche, de torchons suspendus près du mur du fond et d’un tuyau de poêle qui s’élève jusqu’au plafond en pente, bordant ce qui semble être des étagères ou une ouverture à trois pans vers une autre pièce. Une corbeille de fruits est posée sur le meuble disposé devant le tuyau de poêle, tandis qu’une chaise de camping pliante domine le premier plan. McCarthy peint cette image dans l’une des deux maisons de campagne de la baie Georgienne qu’elle a achetées avec quatre camarades en 1959. La plus grande, appelée Keyhole, tire son nom d’un bras de mer situé à proximité, alors que la plus petite, que McCarthy partage avec Virginia Luz (1911-2005), est baptisée Knothole « parce que ce n’est pas la Keyhole ». Depuis son enfance, McCarthy passe ses étés dans la région, ce qu’elle adore.

La cuisine de Knothole montre l’un des rares intérieurs peints par McCarthy. Il se peut qu’elle les trouve ardus à composer – cette image semble d’ailleurs précipitée et inachevée, l’espace étant difficile à lire. Dans une autre œuvre similaire, Woodstove in Wardens Cabin, Revelstoke, B.C. (Poêle à bois dans la cabane des gardiens, Revelstoke, C.-B.), 1957, la taille relative des objets représentés semble disproportionnée, notamment les chaussures sous le poêle qui paraissent surdimensionnées par rapport aux casseroles posées sur le dessus. Dans Kitchen at Fool’s Paradise (Cuisine au Paradis d’une folle), 1954, elle adopte un point de vue rapproché et dépeint les objets de manière caricaturale. Manifestement, McCarthy, qui aime le plein air, n’est pas intéressée par les intérieurs.

Malgré ses défauts apparents, La cuisine de Knothole est attirante visuellement , notre regard s’y plonge, séduit par les lignes qui sillonnent la composition et par les couleurs qui la ponctuent, des bandes d’ocre, de sarcelle et de vert. Le manque de finition peut être symptomatique de la transition opérée par McCarthy vers ses paysages abstraits des années 1960, tels que Rhythms of Georgian Bay (Rythmes de la baie Georgienne), 1966. Il peut aussi être attribuable à son exposition à l’abstraction gestuelle à Toronto, déployée par le Groupe des Onze et l’influence massive de l’expressionnisme abstrait : « J’ai produit un certain volume de peintures gestuelles et liées à l’expressionnisme abstrait […], mais je n’ai pas pris cela au sérieux. » McCarthy, qui a été l’assistante de Hortense Gordon (1886-1961), enseigne également à deux membres du Groupe des Onze, Tom Hodgson (1924-2006) et Kazuo Nakamura (1926-2002). « C’était formidable de voir un groupe qui faisait ce travail intéressant, dit-elle, et nous avons eu beaucoup de leurs œuvres dans les expositions de la société [la Ontario Society of Artists]. »

McCarthy fait remarquer qu’étant enseignante, il est important pour elle de se tenir au courant des dernières tendances en art contemporain : « Il y a toujours eu la pression de rester au fait des développements en art lorsque j’enseignais […]. Je pensais que mon travail devait être raisonnablement contemporain et j’ai essayé tous les nouveaux mouvements. J’ai dû enseigner l’abstraction gestuelle. Je savais comment faire du hard-edge et du pop. Je devais découvrir quels mouvements artistiques faisaient vibrer les élèves. C’était des périodes d’actualités, des défis, et ils ont élargi ma propre appréciation de l’art. »

La fin des années 1950 et la décennie 1960 marquent une période d’expérimentation radicale dans le monde de l’art, allant des performances au pop art en passant par les œuvres textuelles de l’art conceptuel. L’une des élèves les plus célèbres de McCarthy, Joyce Wieland (1930-1998), devient une actrice importante de cette scène culturelle nouvellement revitalisée.

La cuisine de Knothole est achetée par le Musée des beaux-arts de l’Ontario en 2019 – c’est la seule peinture de McCarthy dans la collection. Il est étonnant de constater combien les grandes institutions d’art canadiennes ont largement ignoré l’œuvre de McCarthy.