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RECONNAISSANCE DU TERRITOIRE

Ce souvenir de mon père et de son art a été écrit chez moi, dans la Première Nation M’Chigeeng, qui fait partie de la Confédération des Trois Feux et de la Nation anishinaabe; dans la maison en adobe qu’il a construite dans le champ de pommes de terre de son grand-père; sur une terre choisie et transmise à notre famille depuis le traité de Manitoulin de 1836 et le traité Robinson-Huron conclu avec la Couronne en 1850, bénie de doux érables à sucre et d’un sol riche, et nichée dans une vallée entre trois lacs à Mnidoo Mnising, sur l’île Manitoulin.

 

 

J’utilise une méthode de travail qui explore le collage pour interpréter le monde, qui n’est pas un point de vue fixe, mais qui bouge dans tous les sens.

—Carl Beam

 

Carl et Anong Migwans Beam, s.d., photographie d’Ann Beam. © Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024.

Carl Beam était mon père. Dans les voix et les temps que j’emploie tout au long de ce livre, j’ai cherché à refléter le fait que notre relation était proche, affectueuse et sûre. Bien qu’il s’agisse d’une histoire sur lui et son art, je me retrouve dans une curieuse posture en la racontant, parfois un personnage du récit et parfois une voix distante et objective qui raconte la vie et l’œuvre de mon père.

 

Lorsque je parle de son art, une voix à la troisième personne permet une distance critique entre « Carl », l’artiste, et moi, historienne de l’art, administratrice des arts, peintre, graveuse et fabricante de peinture. Parfois, cependant, j’ai l’impression qu’une voix à la première personne reflète plus fidèlement la nature des conversations au cours desquelles « mon père » a partagé avec moi ses pensées et ses préoccupations artistiques. Je ne pense pas que cette fluctuation lui déplairait. En fait, je pense qu’il aurait voulu que chaque personne approchant son art le conçoive grâce à ses propres perceptions. De cette manière, le public devient un participant profondément engagé dans la création et la découverte de significations, ainsi qu’un observateur critique déchiffrant et décodant les images à travers des filtres contextuels, d’histoire de l’art, coloniaux et sociaux, parmi tant d’autres.

 

En écrivant ce livre, j’ai voulu respecter la méthode de création de mon père, le collage, qui se présente comme une stratégie créative en accord avec son intérêt pour la sémiotique, soit l’étude des signes et des symboles. J’y déploie ma voix propre, que je réunis avec celles de commissaires, de spécialistes et, bien sûr, de mon père. En incluant ses mots – ses entrées de journal et ses réflexions sur son propre travail – j’ai intégré son essence dans cette histoire qui est la sienne. Ces perspectives sont toutes assemblées pour donner un portrait multidimensionnel et dynamique de la vie et de l’art de mon père.

 

Carl Beam, Autobiographical Errata (Errata autobiographique), 1997, émulsion photo, aquarelle et encre sur papier, 104,1 x 74,9 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024.
Carl Beam, Various Concerns of the Artist (Les différentes préoccupations de l’artiste), 1984, eau-forte en couleur, épreuve d’artiste, 116,8 x 76,2 cm, Gallery Gevik, Toronto. © Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024.

 

Il m’a souvent répété qu’il faisait de l’art pour les gens qui réfléchissent. Il invitait son public à s’attaquer aux idées qu’il traitait dans ses œuvres, à se mesurer à son langage visuel complexe et à remettre en question ce qu’il voyait jusqu’à ce que de nombreuses significations possibles émergent de cette confrontation, comme si elles changeaient de forme devant l’œil et l’esprit. J’espère que ce livre aidera les gens à comprendre comment réfléchir à l’œuvre de mon père.

 

Anong Migwans Beam

Octobre 2023

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