Voyage 1988
Voyage, l’une des deux seules grandes sculptures réalisées par Carl Beam, est une réplique à l’échelle un quart du navire de Christophe Colomb, la Santa María, le plus grand de son trio de bateaux, qui comptait aussi la Niña et la Pinta. Après le voyage de Christophe Colomb vers l’île de la Tortue en 1492, la Santa María et les quarante membres de son équipage sont abandonnés dans le Nouveau Monde après l’échouement du navire, alors que le navigateur rentre en Espagne faire part de sa « découverte » à la reine Isabelle. L’image de la Santa María naufragée a inspiré Beam pour la création de cette pièce.
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Transport de The Columbus Boat (Le bateau de Christophe Colomb), s.d.
photographie d’Ann Beam
© Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024
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Transport de The Columbus Boat (Le bateau de Christophe Colomb), s.d.
photographie d’Ann Beam
© Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024
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Installation de The Columbus Boat (Le bateau de Christophe Colomb), s.d.
photographie d’Ann Beam
© Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024
Voyage est l’un des éléments de The Columbus Project (Le projet Christophe Colomb), 1988-1992, une critique en plusieurs œuvres de la soi-disant découverte de l’Amérique du Nord par Christophe Colomb. Ce projet rassemble des peintures à émulsion photographique et à l’huile sur toile, des documents vidéo de performances, des installations, des plans d’architecture ainsi que de nombreuses études exploitant des moyens d’expression et des formats variés. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, à l’occasion du 500e anniversaire du voyage de Christophe Colomb, Beam s’attaque à la nature festive de cette commémoration en choisissant de mettre en lumière l’impact tragique du colonialisme européen, son héritage raciste et son lien direct avec l’esclavage sur l’île de la Tortue. Le projet Christophe Colomb l’inspire également à faire d’autres recherches artistiques sur la dynamique et les désastres de la colonisation annoncée par l’arrivée du navigateur aux Amériques.
En 1988, alors que Beam vit à Peterborough, en Ontario, il installe son atelier principal dans la maison familiale. Conscient qu’il n’a ni formation de sculpteur ni compétences spécialisées en construction de bateaux, il sollicite l’aide de son voisin, John Graff, un maître constructeur naval de Nouvelle-Écosse, pour la conception de l’enveloppe squelettique de la Santa María dans son atelier de menuiserie. Un an après l’achèvement de Voyage, Beam explique : « L’idée de construire un bateau comme les navires de Colomb […] n’est pas du tout un hommage aux qualités de marins ou à la charpenterie, mais plutôt une tentative de voir si l’idée de naviguer, ou d’aspirer à autre chose dans un voyage, peut être transmise – l’idée de faire un voyage dans une zone non spécifiée. »
Voyage documente un fait historique : un bateau échoué sur le point de couler. Cependant, en mettant l’accent sur le squelette du bateau, Beam souligne également la ressemblance de l’objet avec les os blanchis d’une baleine échouée, une métaphore qu’il explore plus tard dans sa série The Whale of Our Being (La baleine de notre être), 2001-2003. Ces multiples significations conduisent à faire une lecture élégiaque de l’œuvre. Elles signalent différentes sortes de tragédies : la fin d’un bateau historique, l’échec abject d’un voyage de « découverte » qui a annoncé le génocide de millions de personnes autochtones, et l’expression des limites du savoir fondé sur la mesure et le rationalisme. En soulignant le désastre des systèmes de compréhension de l’Europe occidentale, Beam cherche à attirer l’attention sur les qualités durables des systèmes de connaissances et de croyances autochtones qui datent d’avant le contact avec le monde européen et qui sont toujours pertinents aujourd’hui.