L’iceberg nord-américain 1985
L’iceberg nord-américain, l’une des œuvres les plus importantes de Carl Beam, est une déclaration provocatrice du dégoût de l’artiste pour les célébrations omniprésentes du « tout » européen à travers l’Amérique du Nord. Créée en réponse à une exposition organisée en 1985 au Musée des beaux-arts de l’Ontario intitulée The European Iceberg: Creativity in Germany and Italy Today (L’iceberg européen : la créativité en Allemagne et en Italie aujourd’hui), l’œuvre est un catalogue virtuel des thèmes qui inspirent l’art de Beam, ainsi qu’une critique acerbe du rationalisme européen, qu’il considère comme la cause première de la colonisation, du génocide des nations autochtones de l’île de la Tortue et de l’anéantissement de leurs cultures (ainsi que du sentiment de perte personnelle qu’il ressent face à cette dévalorisation et à cette destruction).
L’assemblage d’images complexe de L’iceberg nord-américain contient de multiples signes – autoportraits et portraits de figures historiques importantes, textes écrits au pochoir et à la main, ainsi que photographies documentaires transférées – tous collés sur un plan visuel fait d’éclaboussures, de fragments et de traînées de couleurs. Les photographies transférées comprennent une image froidement intitulée Three Graveside Figures (Trois figures près d’une tombe) et d’autres représentant l’assassinat du président égyptien Anwar Sadat, un aigle en vol du photographe anglais Eadweard Muybridge (1830-1904) et un orignal en pleine course. Un corbeau, un portrait du chef apache Geronimo, des images d’une femme autochtone sans nom et une fusée apparaissent également, créant un lexique visuel du conflit et de la lutte.
Beam réalise son œuvre dans son atelier du 222 avenue Carlisle à Peterborough, en Ontario. L’iceberg nord-américain est une composition riche construite couche par couche au dos de trois grandes feuilles de Plexiglas. Cette même méthode novatrice a été utilisée pour d’autres œuvres, telles que Sauvage, 1988. Il est important de noter que dans toutes ses œuvres en Plexiglas, contrairement à ses peintures traditionnelles, Beam construit la composition à l’envers – avec les détails rendus au premier plan et le texte posé à l’envers de manière à ce qu’il se lise correctement lorsque regardé de l’autre côté du plastique transparent. L’artiste termine l’œuvre en appliquant la couleur sur le fond qui, dans d’autres circonstances, aurait été peint en premier. Cette méthode unique constitue une source d’amusement pour Beam, qui remet toujours en question les techniques de création traditionnelles et compte sur le hasard ainsi que l’innovation pour progresser sur le plan artistique.
Cette méthode de construction non conventionnelle est également une métaphore de l’élasticité du temps et du triomphe d’une cosmologie pré-contact. Le texte proéminent écrit au pochoir « REVOLVING SEQUENTIAL [CIRCONVOLUTIF SÉQUENTIEL] » annonce en partie cette victoire. Il s’agit d’un brillant exemple de l’écriture spontanée que Beam inclut souvent dans ses œuvres. L’association des termes contradictoires « revolving [circonvolutif] » et « sequential [séquentiel] » est stimulée par les différents signes visuels de la composition en même temps qu’elle active les propres associations de la personne spectatrice.
Abordant la fluidité du temps et de l’espace, la relativité de la vérité et du sens, ainsi que le rôle joué par la sémiotique et le collage dans la définition de la théorie et de la pratique créative personnelle de Beam, L’iceberg nord-américain est la déclaration énergique d’un artiste dont l’intention est de confronter les maux du colonialisme et de la malveillance étatique. En tant que premier achat « conscient » d’une œuvre d’un artiste des Premières Nations pour la collection d’art contemporain du Musée des beaux-arts du Canada – point culminant de nombreuses années de lobbying de la part de la Society of Canadian Artists of Native Ancestry (SCANA) de même que d’autres artistes et collectifs artistiques autochtones – le tableau marque également un tournant dans l’histoire de l’art contemporain au Canada. L’acquisition intentionnelle de L’iceberg nord-américain en tant qu’œuvre d’art contemporaine est importante, car elle affirme que l’art autochtone est pertinent pour les temps modernes et a sa place dans un récit national.