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Autoportrait dans mon maillot de bain Christian Dior 1980

Autoportrait dans mon maillot de bain Christian Dior

Carl Beam, Self-Portrait in My Christian Dior Bathing Suit (Autoportrait dans mon maillot de bain Christian Dior), 1980

Aquarelle sur papier, 106 x 65,5 cm

Collection privée © Succession Carl et Ann Beam/CARCC Ottawa 2024 

Dans cet autoportrait emblématique, Carl Beam se représente d’une manière provocante, vêtu seulement d’un maillot de bain noir, bouleversant les attentes du public quant à la manière dont un homme autochtone doit se comporter. Une main sur la hanche, ses longs cheveux dénoués, il regarde au-delà du plan de l’image, les yeux flamboyants avec l’intensité d’un aigle. Le titre fait clairement référence au fait que son maillot de bain a été acheté auprès d’une élégante marque de haute couture. Mais au lieu de se positionner comme un mannequin-vedette idéalisé, Beam se présente comme un sujet créatif qui contrôle sa propre image.

 

Comme la plupart de ses œuvres de grand format, le portrait comprend des lignes de texte écrites de la main de l’artiste :

 

… autobiographical work done in 1980 to validate my presence and to make sure that the work always remains explicitly auto-biographical in nature, even if I have to state it in this way. As far as I’m concerned, I’m the artist (among other things) so this is my work. THIS IS MY WORK!! [… œuvre autobiographique réalisée en 1980 pour valider ma présence et pour assurer que l’œuvre demeure toujours explicitement autobiographique, même si je dois l’affirmer de cette manière. En ce qui me concerne, je suis l’artiste (entre autres), donc c’est mon œuvre. C’EST MON ŒUVRE!!]

 

I am marking time through my work (if it serves no other function to anyone else) and if I do this I will say tomorrow, « I was around yesterday, and here’s the fucking proof, where’s yours? » babble, babble, verbiage, etc. … [Je marque le temps par mon œuvre (si cela ne sert à personne d’autre) et si je le fais, je dirai demain : « J’étais là hier, et voici la crisse de preuve, où est la vôtre? » babil, babil, verbiage, etc. …

Carl Beam, 1980, Toronto

 

Ron Noganosh, I Couldn’t Afford a Christian Dior Bathing Suit (Je n’avais pas les moyens de m’offrir un maillot de bain Christian Dior), 1990, huile, carton, Plexiglas, 142 x 86 cm, collection privée.
Viviane Gray, Carl, I Can’t Fit into My Christian Dehors Bathing Suit! (Carl, je ne rentre pas dans mon maillot de bain Christian Dehors!), 1989, techniques mixtes, 193 x 61 x 193 cm, collection de l’artiste.

Avec cette image défiante, Beam s’attaque à la question de l’autoreprésentation. Comme l’affirme le commissaire Richard William Hill, il ébranle non seulement les suppositions du public artistique du début des années 1980 « qui s’attend à ce que les artistes anishinaabeg travaillent dans le style dit de l’école de Woodland », mais aussi les idées largement répandues selon lesquelles les hommes autochtones ne possèdent pas de vêtements de marque. Beam aborde ces deux croyances de front tout en soulignant leur absurdité : « Il était là, debout dans son maillot de bain Christian Dior. À l’époque, les Autochtones n’avaient pas vraiment le droit d’avoir des maillots de bain Christian Dior. […] [C]e qui est étrange, c’est qu’on ne nous considérait pas comme des êtres humains à part entière. C’est comme si nous n’existions pas à l’époque moderne, en particulier à notre époque moderne prospère où nous pourrions avoir envie d’avoir un maillot de bain Christian Dior. » En se représentant de cette manière, Beam combat – de façon très ironique – le traitement séculaire des sujets autochtones dans l’art en tant qu’artefacts ethnographiques ou anthropologiques, et il déstabilise les stéréotypes issus des peintures de Paul Kane (1810-1871) et de Cornelius Krieghoff (1815-1872).

 

Le portrait suscite une gamme de réactions lorsqu’il est présenté en 1984 dans le cadre de la grande exposition personnelle de Beam, Altered Egos: The Multimedia Work of Carl Beam (Égos altérés : l’art multimédia de Carl Beam) au Thunder Bay National Exhibition Centre and Centre for Indian Art (aujourd’hui la Thunder Bay Art Gallery). Les artistes Ron Noganosh (1949-2017) et Viviane Gray (née en 1947), par exemple, réagissent avec leurs propres œuvres, respectivement intitulées I Couldn’t Afford a Christian Dior Bathing Suit (Je n’avais pas les moyens de m’offrir un maillot de bain Christian Dior), 1990, et Carl, I Can’t Fit into My Christian Dehors Bathing Suit! (Carl, je ne rentre pas dans mon maillot de bain Christian Dehors!), 1989. Évaluant la réception critique du portrait de Beam, le chercheur Allan J. Ryan observe que si la pièce est profondément subjective – « une affirmation féroce de l’estime de soi et de l’expérience personnelle » – elle contribue plus largement à redéfinir les paramètres de l’art autochtone contemporain au Canada en « [exprimant] avec passion la nécessité pour d’autres artistes [autochtones] de créer leurs propres images de l’expérience vécue ». Cette œuvre, qui, selon Beam lui-même, « a été réalisée en un après-midi », demeure un défi lancé à ceux et celles qui tentent d’enfermer l’autoreprésentation dans des catégories étroites ou racistes.

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