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Pour la plupart des Canadiennes et des Canadiens, Ottawa n’est que la capitale nationale : un lieu où la classe politique se réunit pour débattre de la façon dont la population sera imposée et le pays, gouverné. Ottawa est toutefois bien plus que cela. Les bureaucrates vont et viennent, mais la ville, elle, est bien vivante, animée d’une tradition artistique dynamique et habitée par des gens qui ressentent la fierté d’y vivre. Cet ouvrage explore et célèbre l’héritage culturel et artistique de la ville et de la région d’Ottawa.

 

Samuel Dubé, Wìgwàs wìgwemad màmawe anìbìsh mazinàdahigan (récipient en écorce de bouleau avec motif de feuille), date inconnue, écorce de bouleau, racine d’épinette, cuir, 34,5 x 22 x 33,3 cm, collection de Kitigan Zibi.

Ottawa existe en raison de lignes de faille, du recul glaciaire, de la conjonction de plusieurs rivières et du choix capricieux de la reine Victoria, une souveraine lointaine. Site idéal pour la rencontre de divers groupes anishinabeg – le mot Odawa fait d’ailleurs référence au commerce et à l’échange – le nom de la ville sied à un endroit où le commerce des biens et des idées est devenu primordial. La Kichi Sibi, ou rivière des Outaouais, constitue une excellente route vers le cœur du continent, si bien que des générations de commerçants, de missionnaires, de militaires et de colons ont traversé ses eaux. Au début du dix-neuvième siècle, une communauté fondée sur la puissance de ces eaux vives et l’abondance des forêts environnantes était en cours de construction et, en 1857, la ville a été choisie comme capitale de ce qui allait devenir la nation du Canada.

 

Je possède moi-même de profondes racines à Ottawa; j’y suis né, fils d’une mère anishinabeg de la Première Nation Pikwàkanagàn et d’un père canadien polonais dont la famille s’est installée dans la vallée de l’Outaouais, à Wilno, au dix-neuvième siècle. Enfant, j’ai appris à connaître la vallée en rendant visite à des membres de ma famille partout dans la région. J’ai passé mon enfance à explorer le parc Algonquin et j’y ai travaillé pendant plusieurs étés. C’est à Ottawa que j’ai grandi et fait mes études. J’ai obtenu une maîtrise en Études canadiennes – histoire de l’art de l’Université Carleton. À l’époque, au début des années 1970, mes cours d’art canadien ne faisaient nulle mention d’artistes d’Ottawa. Je passais souvent devant la grande murale de Gerald Trottier, dans le pavillon H. M. Tory sur le campus, mais j’en connaissais bien peu d’autres, à l’exception de Robert Hyndman (1915-2009) et de Juan Geuer (1917-2009), dont j’avais visité les ateliers dans le cadre de mes cours d’art à l’école secondaire. J’ai depuis appris à mieux connaître les artistes d’exception qu’abrite la ville, sans compter que j’ai eu la chance de mener toute ma carrière professionnelle au sein des collections d’art et de photographie des Archives nationales du Canada (aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada), ce qui a été une façon extraordinaire d’étudier l’histoire du pays en images. Avec mes collègues du Musée des beaux-arts du Canada, du Musée canadien de l’histoire et d’autres institutions culturelles au pays, j’ai poursuivi cette aventure d’une vie pour mieux comprendre le patrimoine artistique du Canada.

 

Au début des années 1990, Pierre Arpin, le conservateur de la toute nouvelle Galerie d’art d’Ottawa, m’a demandé de travailler à une série d’expositions sur l’histoire de l’art dans la région d’Ottawa – un projet qui n’avait encore jamais été entrepris – et c’est ainsi que j’ai découvert l’existence d’un riche héritage de créativité artistique. Nombre d’artistes – autochtones, anglophones, francophones ou, plus récemment, issus de l’immigration – ont profité des perspectives offertes par la ville. Puis, en 2014, j’ai été à nouveau appelé, cette fois pour collaborer avec une brillante équipe de commissaires de la Galerie d’art d’Ottawa à l’organisation de l’exposition Àdisòkàmagan/Nous connaître un peu nous-mêmes/We’ll All Become Stories, dévoilée en avril 2018. Cette expérience a approfondi ma connaissance du riche patrimoine ottavien.

 

John By, Chaudière Falls, Ottawa River, Upper Canada [Ottawa, Ontario] (Chutes de la Chaudière, rivière des Outaouais, Haut-Canada [Ottawa, Ontario]), 1826, imprimée v.1830 par C. Ingrey, lithographie, 26,2 x 37,5 cm, Bibliothèque publique de Toronto.

 

Les caractéristiques de la ville n’ont pas facilité son épanouissement artistique. Ottawa a dû faire face à la dichotomie engendrée par sa position de capitale nationale, la vie officielle et politique étouffant en même temps que soutenant, parfois, les efforts locaux. La population ottavienne a toujours compté un nombre important de personnes de passage ou qui s’y sont établies de façon permanente. Les classes dirigeantes municipales et sociales d’Ottawa ont, quant à elles, trop souvent laissé des institutions nationales assumer des rôles qui auraient dû être joués par des organisations locales; lesquelles, par conséquent, ont été soit insuffisamment soutenues, soit n’ont pu voir le jour.

 

Les divergences de points de vue et de politiques entre les hauts fonctionnaires et les chefs d’entreprise locaux ont été une source de problèmes permanents. Il en va de même pour les aspirations culturelles discordantes des francophones et des anglophones qui ont contribué à fracturer les efforts visant à développer une communauté artistique. S’ajoute à cela la mixité sociale de la ville, qui abrite des personnes de catégorie socioprofessionnelle et d’origine sociale ou culturelle différentes.

 

David B. Milne, E.B. Eddy Mill, Hull, Quebec (Usine de papier E. B. Eddy, Hull, Québec), 1923, aquarelle en demi-sec et crayon sur papier vélin, 37 x 54,3 cm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

De plus, contrairement à Toronto ou Montréal, Ottawa n’a jamais été une ville industrielle ou un centre métropolitain alimentant un vaste arrière-pays. Pendant la majeure partie de son histoire, l’industrie du bois est l’activité commerciale principale de la ville. La vallée de l’Outaouais, dont une partie est ancrée dans le Bouclier canadien, n’offrait pas de perspectives agricoles intéressantes aux colons potentiels. Les dépressions économiques des années 1870, 1890 et 1930, ainsi que l’ouverture de l’Ouest canadien au cours des premières décennies du vingtième siècle, ont toutes eu un impact négatif sur le développement d’Ottawa et de ses communautés créatives.

 

Pour tout artiste qui tentait de gagner sa vie à Ottawa, le mécénat était une nécessité, car les marchés pour la production artistique ont été limités pendant de nombreuses décennies. Ce n’est pas avant les années 1950 que les arts commencent à être considérés comme faisant partie intégrante de la société. L’essor de l’industrie de haute technologie et l’expansion de la fonction publique des années 1960 et 1970 ont permis de nouvelles possibilités et un soutien accru aux œuvres des artistes de la communauté locale.

 

Au cours des dernières décennies, l’intérêt pour l’art et la culture et l’augmentation du financement public sur de multiples paliers ont entraîné des changements phénoménaux dans le monde artistique et culturel de la région. Au cours des vingt-cinq dernières années, les artistes d’Ottawa ont atteint une renommée nationale et internationale, tandis que l’évolution vers une pratique artistique plus inclusive et plus diverse s’affirme comme l’une des caractéristiques du développement culturel de la ville.

 

L’histoire culturelle et artistique d’Ottawa m’a toujours été chère. J’espère que cet ouvrage reflétera mon amour pour ma ville et son passé, et qu’il suscitera l’élan d’en apprendre davantage sur Ottawa et sa multitude d’artistes extraordinaires.

 

Norman Takeuchi, Wedding Song (Chanson de mariage), détail : toile gauche, 2020, acrylique sur toile, d’un bout à l’autre : 122 x 200 cm, détail : 122 x 91,5 cm, collection de l’artiste.
Meryl McMaster, Meryl 1, 2010, épreuve numérique chromogène, 91,4 x 91,4 cm, collection de l’artiste.

 

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