Dennis Tourbin
En 1995, le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) prend la décision d’annuler une exposition de l’artiste ottavien Dennis Tourbin (1946-1998). L’exposition rassemblait des dessins de sa série sur la crise d’Octobre de 1970. Les responsables du musée craignaient que ces dessins n’attisent les tensions politiques dans la foulée du second référendum sur la souveraineté du Québec. Cependant, une exposition connexe des œuvres de Tourbin sur la crise d’Octobre s’est tenue à la Galerie d’art d’Ottawa, ce qui conduit l’artiste à la reconnaissance nationale.
Tourbin confie que sa vie est bouleversée lorsque les felquistes kidnappent le diplomate britannique James Cross ainsi que le ministre québécois Pierre Laporte, qu’ils finissent par exécuter. « Cela a changé la façon dont nous nous percevions », écrit-il à propos de la crise d’Octobre; « nous sommes entrés dans une nouvelle ère, l’ère des médias. » L’événement affecte sa pratique artistique pendant des années, donnant lieu à une série où figure La crise d’Octobre, Mémoire I/II, 1990. Ces pièces d’envergure présentent des copies retravaillées d’images d’archives, notamment des photos de Laporte et de Cross, de même que les unes de journaux documentant la crise, laquelle a eu un effet profond sur la psyché nationale.
Tourbin naît et grandit à St. Catharines, en Ontario. Il fréquente le Centennial College de Toronto et devient un artiste et un poète autodidacte. À titre de membre fondateur de la Niagara Artists’ Co-op (aujourd’hui le Niagara Artists Centre) à St. Catharines et du Artspace à Peterborough, il fait partie intégrante de l’explosion culturelle de la fin des années 1960, dans le sud-ouest de l’Ontario.
En 1984, il vit à Ottawa. C’est là qu’il commence à explorer, selon les mots de la conservatrice Michelle Gewurtz, « le langage et les dimensions visuelles complexes et transformatrices qu’il recèle. Il se passionne également pour le langage de la télévision ». Par le biais d’une forme d’art multimédia qu’il appelle le théâtre peint, Tourbin considère la télévision comme de la poésie. Sa pièce de performance FLQ/CBC: A Painted Play (FLQ/CBC : une pièce peinte), au cours de laquelle il lit sa poésie sur une scène décorée de poèmes peints et accompagné d’accessoires, d’images et de sons, est présentée pour la première fois en 1977 à la Galerie SAW. L’œuvre constitue un moment clé dans le développement de ce genre de pratique artistique et est reprise deux fois, la première, à la fin des années 1980, et la seconde, quelques semaines avant le référendum québécois de 1995.
Bien qu’il soit surtout reconnu comme artiste de performance au cours des deux décennies qu’il passe dans la ville, on peut affirmer que Tourbin pratique la même esthétique politisée et satirique caractéristique d’artistes contemporains d’Ottawa, tels qu’Alex Wyse (né en 1938 ), Victor Tolgesy (1928-1980), Mark Marsters (né en 1962), Eric Walker (né en 1957), Tim DesClouds (né en 1959) et Russell Yuristy (né en 1936); tous s’attachent à créer des œuvres qui expriment les problèmes de la société moderne, nous laissant le choix d’en rire ou d’en pleurer. Tourbin, en particulier, est reconnu pour poser des questions qui incitent à la réflexion, notamment par l’intégration de textes dans ses compositions, comme dans “What Do I Know About the Landscape…” (« Ce que je sais sur le paysage… »), 1980.
En outre, Tourbin agit à titre de mentor pour de jeunes artistes, en même temps qu’il est membre du bureau régional de l’Ontario du Canadian Artists’ Representation/Front des artistes canadiens (CARFAC) et qu’il dirige le centre d’artistes autogéré Galerie 101 pendant deux ans. En 1989, il coordonne le programme TransArt d’Ottawa, qui met en valeur le travail de photographes locaux sur les flancs des autobus de la capitale. Quatre ans plus tard, Tourbin débute la production et l’animation d’une série télévisée locale, Mirror Mirror, qui présente des visites d’ateliers d’artistes locaux. C’est un travailleur culturel dynamique et créatif dont le décès, en 1998, survient à un moment de sa carrière où de nombreux artistes commenceraient à peine à explorer de nouvelles idées.