Depuis sa création, Halifax est une ville où les arts s’épanouissent difficilement. Trop souvent, au moment où une étape décisive est franchie, un changement de direction politique ou institutionnelle fait dérailler le projet, renvoyant les personnes qui l’ont développé à la case départ. Dans une province longtemps considérée comme défavorisée, à l’intérieur comme à l’extérieur, les responsables politiques provinciaux hésitent à créer et à soutenir des institutions artistiques, qui semblent un luxe face à d’autres préoccupations plus urgentes. L’ouverture d’une école d’art à Halifax est proposée pour la première fois dans les années 1850 et quelque temps plus tard, on parle d’un musée d’art, mais la création de ces institutions, dont la communauté haligonienne bénéficie aujourd’hui, résulte d’efforts privés déployés au fil de générations. Pour de nombreux gouvernements néo-écossais, la province n’a pas les moyens financiers de promouvoir l’art dans sa région. En 1959, le projet de construction d’un nouveau bâtiment pour le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE) et pour le Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD) échoue. En 1985, la construction d’un nouveau bâtiment pour le MBANE sur le front de mer de Halifax est annulée. Et en 2002, le Conseil des arts de la Nouvelle-Écosse, un organisme indépendant, est dissous. Tant le musée que l’université continuent de se heurter à des problèmes d’espace. Des compromis ont toujours été trouvés, les différents palliers de gouvernement ont apporté leur soutien, les institutions et leurs partenaires ont fait face aux revers avec résilience. Si l’Université NSCAD et le MBANE habitent tous deux des locaux qui ne sont pas encore optimaux, Arts Nouvelle-Écosse remplit désormais avec compétence le rôle vital de financement et de promotion autrefois assumé par le Conseil des arts de la province. Malgré les difficultés, les arts sont fermement enracinés à Halifax. Pour les personnalités bâtisseuses de communautés présentées ici, et les nombreux individus dévoués qu’elles représentent, les arts sont précisément, depuis toujours, un domaine que la province ne peut pas se permettre de négliger.
Anna Leonowens (1831-1915)
En 1876, un banquier new-yorkais nommé Thomas Fyshe (1845-1911) accepte le poste de directeur de la Banque de Nouvelle-Écosse à Halifax. Une fois marié, il y installe sa famille, dont sa belle-mère, une autrice, conférencière et promotrice de l’éducation bien connue, nommée Anna Leonowens. Si Fyshe lui-même n’a que peu d’influence sur l’histoire de l’art de Halifax (l’histoire bancaire relève d’un autre sujet), Leonowens joue, dès sa première année dans la ville, un rôle majeur dans la création d’une école d’art pour la Nouvelle-Écosse.
À son arrivée à Halifax, Leonowens a déjà à son actif un parcours riche et remarquable. En 1859, veuve depuis peu de temps, Leonowens ouvre une école pour les enfants de militaires à Singapour. L’école finit par attirer l’attention du consul du Royaume de Siam et, en 1862, elle est recrutée pour travailler pour la famille royale, d’abord comme enseignante, puis comme secrétaire linguistique du roi de Siam. Elle travaille pour le roi pendant près de six ans avant de retourner en Angleterre, pour ensuite s’installer à New York. C’est là qu’elle écrit le premier de plusieurs livres à succès, The English Governess at the Siamese Court (1870). Une version romancée de ce livre naît sous la plume de Margaret Landon, Anna and the King of Siam (1944; trad. Anna et le roi, 2000), et Rodgers et Hammerstein signent une adaptation en comédie musicale The King and I (1951; v.f. Le roi et moi).
Déjà célèbre lorsqu’elle arrive à Halifax, Leonowens s’implique immédiatement dans la ville, où elle met sur pied un club de lecture et une société shakespearienne, et s’engage dans le mouvement du droit de vote des femmes. Leonowens prête ses talents de conférencière et d’écrivaine à la promotion d’une nouvelle école d’art à Halifax, une cause qu’elle considère dans un mouvement nord-américain plus large, en faisant valoir les avantages de « l’établissement d’écoles d’art et de design, non seulement pour encourager les beaux-arts — comme la peinture, la sculpture, l’architecture — mais aussi pour donner une impulsion remarquable et une plus grande valeur artistique à toutes les branches des arts mécaniques et industriels ».
Leonowens fait partie des membres du comité fondateur du conseil d’administration de la Victoria School of Art and Design (VSAD), ouverte en 1887 dans le cadre de la commémoration du jubilé d’or de la reine Victoria. Sa campagne de conférences et de publications visant à promouvoir la valeur de l’éducation artistique à Halifax porte fruit : « La plupart des gens s’accordent à dire que la Victoria School of Art and Design est son idée », peut-on lire dans une histoire de l’école d’art.
Leonowens est la première vice-présidente de la VSAD et elle contribue à recruter son premier directeur, l’artiste britannique George Harvey (1846-1910). Son influence se fait également sentir sur d’autres plans : lorsque l’école ouvre ses portes, elle occupe l’étage supérieur de l’immeuble de la Union Bank, dont la location est organisée par le directeur de la banque, le gendre de Leonowens, Thomas Fyshe.
Harry Piers (1870-1940)
Harry Piers est un érudit autodidacte qui profite de son poste Musée de la Nouvelle-Écosse pour constituer une collection de beaux-arts, d’artefacts mi’kmaw et d’autres objets marquants de l’histoire matérielle de la Nouvelle-Écosse. Il devient le premier historien de l’art de la province, rédigeant un ouvrage important sur les orfèvres de Nouvelle-Écosse (publié à titre posthume) et une étude sur le peintre Robert Field (v.1769-1819). En 1914, dans les Collections of the Nova Scotia Historical Society, il publie « Artists of Nova Scotia », une liste de l’ensemble des artistes — amateurs et de profession — travaillant en Nouvelle-Écosse, qu’il peut documenter, et ce, depuis la fondation de Port-Royal en 1605 jusqu’en 1914. Cette liste demeure le document le plus complet sur l’activité artistique haligonienne et, malgré ses nombreuses inexactitudes, elle est encore utilisée aujourd’hui pour la recherche. Les activités de collection et les recherches en histoire de l’art de Piers jettent les bases de l’étude de l’histoire de l’art à Halifax.
Issu d’une famille arrivée à Halifax avec la première vague de colonisation en 1749, Piers exerce une influence considérable dans de nombreux domaines d’étude, géologie, botanique, archéologie, histoire militaire, culture matérielle, histoire de l’art, et ce, sans jamais avoir obtenu de diplôme universitaire. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire architecturale et naturelle de Halifax, ainsi que d’articles importants sur l’histoire culturelle de la ville et de la province. Son dernier ouvrage, The Evolution of the Halifax Fortress, 1749-1928, publié à titre posthume en 1947, joue un rôle de premier plan dans la décision de préserver et de restaurer la citadelle de Halifax et la redoute York.
Après le lycée, la seule éducation formelle de Piers tient dans un parcours de deux ans à la Victoria School of Art and Design, où en 1887 et en 1888, il étudie la peinture et le dessin d’architecture (ce qui en fait l’un des premiers étudiants de l’école d’art). Il étudie également au Musée de la Nouvelle-Écosse, de manière informelle, auprès du conservateur David Honeyman (1817-1889). Après le décès de ce dernier, Piers occupe une série de postes de courte durée au sein de bibliothèques et d’archives à Windsor et à Halifax, jusqu’à ce qu’il soit nommé gardien adjoint des archives publiques de la Nouvelle-Écosse, en 1889, une fonction gouvernementale reconduite jusqu’à la création des Archives publiques de la Nouvelle-Écosse en 1931. La même année, Piers est nommé conservateur du Provincial Museum (qui deviendra plus tard le Musée de la Nouvelle-Écosse). Au cours de ses premières années au musée, il supervise le déménagement de l’institution et de ses collections, y compris la collection d’archives publiques, dans un nouveau bâtiment. Sous la direction de Piers, le mandat de collection du Musée de la Nouvelle-Écosse, fondé sur l’histoire naturelle, s’élargit à l’histoire orale et aux artefacts mi’kmaw, de même qu’aux collections d’histoire matérielle, de beaux-arts et de métiers d’art. Il est également nommé bibliothécaire de la nouvelle Provincial Science Library, installée dans le même bâtiment. Piers occupe ces deux postes jusqu’à sa mort en 1940.
Donald Cameron (D. C.) Mackay (1906-1979)
Artiste, éducateur et historien de l’art, Donald Cameron (D. C.) Mackay joue un rôle central dans l’histoire de l’art à Halifax, de la fin de la Seconde Guerre mondiale (au cours de laquelle il sert en tant qu’officier de marine et artiste de guerre officiel) jusqu’à sa mort en 1979. Il est recteur au Nova Scotia College of Art (NSCA), et professeur d’histoire de l’art à l’Université Dalhousie, tout en développant sa pratique picturale.
Né à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, en 1906, Mackay étudie au Dalhousie College, puis au NSCA, d’où il obtient un diplôme en 1929. Il étudie ensuite à la Chelsea School of Art de Londres et à l’Académie Colarossi de Paris avant de s’installer à Toronto, où il travaille comme illustrateur tout en poursuivant ses études à l’Université de Toronto avec Arthur Lismer (1885-1969). Il enseigne les arts graphiques à la Northern Vocational School, puis, avec Lismer, au Musée d’art de Toronto (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario).
En 1934, il retourne à Halifax pour enseigner au NSCA, où il est nommé vice-recteur en 1938. La même année, il devient chargé de cours en beaux-arts à l’Université Dalhousie, poste qu’il occupe jusqu’en 1971. Il s’engage dans la marine royale canadienne en 1939 et sert comme officier de renseignement jusqu’à sa nomination en tant qu’artiste de guerre officiel en 1943. « La qualité particulière de son travail est la représentation de [l’effort] physique pur nécessaire à la guerre en mer », note une historienne.
Mackay est un artiste actif et un membre fondateur de la Nova Scotia Society of Artists (NSSA). Mais bien qu’il maintienne sa pratique artistique, « [il] s’avère une personne pratiquant des activités diversifiées, étant aussi administrateur et éducateur ». En 1945, il est nommé recteur et professeur d’histoire de l’art au NSCA, et ce, jusqu’en 1967.
En tant que recteur du NSCA, Mackay s’emploie à faire croître les inscriptions et à développer une offre de programmes plus intéressante, entre autres, en 1948, la création d’un programme d’éducation artistique de trois ans. Il supervise également l’achat de l’ancienne salle de l’église unie St. Andrew’s, qui est rénovée en un bâtiment moderne pour l’école des beaux-arts qui ouvre ses portes en 1957. Selon un scénario trop familier, le plan initial prévoit une nouvelle construction qui aurait inclus un musée d’art provincial, une priorité de longue date pour le NSCA, la Galerie d’art de la Nouvelle-Écosse et Mackay lui-même. En fin de compte, le gouvernement provincial refuse son soutien au projet.
Mackay est l’un des rares historiens de l’art actifs en Nouvelle-Écosse dans les années 1940, suivant les traces de Harry Piers (1870-1940). En 1948, il édite et illustre un livre entrepris d’abord par Piers, Master Goldsmiths and Silversmiths of Nova Scotia. En 1973, il publie Silversmiths and Related Craftsmen of the Atlantic Provinces et consacre les dernières décennies de sa vie à une étude monumentale, Portraits of a Province: 1605–1945 (qui n’est toujours pas publiée). En 1971, le NSCAD lui décerne le titre honorifique de docteur en beaux-arts.
LeRoy J. Zwicker (1906-1987) et Marguerite Porter Zwicker (1904-1993)
Les institutions artistiques de Halifax sont créées principalement grâce aux efforts et au soutien financier de citoyen·nes. Les artistes et galeristes LeRoy et Marguerite Zwicker comptent parmi ces personnes engagées.
LeRoy J. Zwicker naît à Halifax, descendant d’une famille marchande réputée, fondatrice de la plus ancienne galerie d’art commerciale du Canada. En 1886, le père de Zwicker, Judson A. Zwicker, transforme son entreprise de vente de verre en gros en un magasin faisant le commerce d’œuvres d’art et de fournitures artistiques et offrant des services d’encadrement. À la mort de l’aîné Zwicker en 1943, son fils LeRoy, diplômé du Nova Scotia College of Art (NSCA), avec son épouse Marguerite, reprend la direction du magasin et de la galerie. Native de Yarmouth, Marguerite est venue à Halifax pour étudier au NSCA, où elle rencontre LeRoy. Le couple se marie en 1938. Marguerite s’occupe des activités quotidiennes de la galerie, tandis que LeRoy conserve son emploi à la compagnie Moirs Chocolate jusqu’à la fin des années 1950.
Les Zwicker dirigent la galerie d’art jusqu’à leur retraite en 1968 et travaillent sans relâche à la création et au maintien d’institutions qui encouragent la création artistique à Halifax. Le couple contribue à la fondation de la Maritime Arts Association (MAA), dont LeRoy Zwicker est le gestionnaire. En outre, LeRoy contribue de manière régulière au magazine Maritime Art de la MAA et à son remplaçant, Canadian Art. Marguerite est responsable des abonnements au magazine et siège au conseil d’administration de la MAA. LeRoy et Marguerite sont membres de la Nova Scotia Society of Artists (NSSA). Leroy en est le président de 1938 à 1939, tout comme il fait partie du conseil de direction pendant de nombreuses années. En 1949, il représente la NSSA au sein du comité d’organisation de l’exposition 200 Years of Art in Halifax (200 ans d’art à Halifax), destinée à marquer le bicentenaire de la fondation de la ville.
LeRoy et Marguerite Zwicker sont des artistes exemplaires avec, à leur palmarès, un éventail d’expositions et de récompenses professionnelles telles que le prestigieux titre d’artiste de la Nouvelle-Écosse décerné pour la première fois, en 1939 par la NSSA. Dans les années 1940, LeRoy Zwicker suit les cours d’Alfred Pellan (1906-1988) et se révèle comme l’un des rares artistes actifs à Halifax dans les années 1940-1950 à explorer l’abstraction dans son art. Lorsque la Galerie d’art de la Nouvelle-Écosse (GANE) s’installe dans l’ancien bâtiment du Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD) sur Coburg Road, en 1975 (peu avant de devenir le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, MBANE), son exposition inaugurale est LeRoy Zwicker: In Retrospect (LeRoy Zwicker : une rétrospective), une étude de l’œuvre de Zwicker et de ses cinquante ans de carrière. En 1991, le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse lance Marguerite Zwicker: Watercolours (Marguerite Zwicker : aquarelles), une exposition présentant, sur cinquante ans, son travail à l’aquarelle, qui était son moyen d’expression de prédilection.
Dans les années 1960, LeRoy siège au conseil d’administration du NSCAD et reçoit, en 1969, l’un des premiers doctorats honorifiques en beaux-arts décernés par cette institution. En 1984, LeRoy et Marguerite Zwicker deviennent les principales personnes donatrices de la campagne d’investissement destinée à financer la création du premier bâtiment permanent du MBANE. Leur don de 500 000 dollars est assorti de plus d’une soixantaine d’œuvres d’art et d’une bibliothèque de livres d’art. La galerie Zwicker, qui fait désormais partie de la galerie des Premières Nations du MBANE, est nommée en leur honneur. Leur galerie d’art, la Zwicker Gallery, reste l’une des principales galeries commerciales de Halifax, exploitée depuis 1970 par Ian et Anne Muncaster.
Garry Neill Kennedy (1935-2021)
Dans le Halifax de la fin des années 1960, une petite école d’art provinciale et plutôt conservatrice se hisse de manière inattendue au rang de référence internationale. Cette transformation incroyable est le fruit d’une initiative novatrice, subversive et particulièrement réussie menée par Garry Neill Kennedy.
Né en 1935 à St. Catharines, en Ontario, Kennedy fréquente l’Ontario College of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO) de 1956 à 1960 et obtient un diplôme en beaux-arts. En 1965, il obtient aussi un baccalauréat en beaux-arts de l’Université de Buffalo et une maîtrise en beaux-arts de l’Université de l’Ohio. De 1965 à 1967, il dirige le département d’art du Northland College à Ashland, dans le Wisconsin. En 1967, il a trente et un ans lorsque le conseil d’administration du Nova Scotia College of Art (NSCA) l’engage comme premier président de l’école.
Pendant vingt-trois ans, Kennedy dirige l’école d’art – rebaptisée Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD) en 1969 – au cours d’une période marquée par des innovations remarquables telles qu’un programme international d’artistes en résidence, une maison d’édition, le célèbre atelier de lithographie du NSCAD et deux espaces d’exposition. Il engage une équipe d’artistes et de pédagogues exemplaires – Gerald Ferguson (1937-2009), David Askevold (1940-2008), Patrick Kelly (1939-2011), Dennis Young (1928-2021) et Jack Lemon (né en 1936), parmi beaucoup d’autres – et leur donne l’espace et le soutien financier nécessaires pour la création de programmes d’une telle qualité, qu’un magazine d’art international s’est demandé si le NSCAD était « la meilleure école d’art en Amérique du Nord ».
Au cours de ses deux premières années à la tête de l’école d’art, Kennedy supervise la construction d’une annexe de six étages au bâtiment de l’école, qui comprend un espace pour une galerie d’art, tout en élargissant considérablement l’offre de cours. En 1969, le collège devient la première école d’art au Canada à obtenir le statut d’établissement diplômant. En 1973, le programme d’études supérieures est lancé. De 1972 à 1978, Kennedy supervise le déménagement du NSCAD, quittant le campus de l’Université Dalhousie pour s’établir dans un ensemble de bâtiments situés au centre-ville, sur le front de mer, nommé Historic Properties. Non seulement ce déménagement élargit la sphère d’influence du NSCAD, mais il contribue aussi à sauver une grande partie du centre-ville historique de Halifax, qui était voué à la démolition. Comme le rappelle un membre du conseil d’administration, « si vous aimez Historic Properties vous devez vous rappeler que c’est l’école d’art qui a rendu cela possible ».
Kennedy démissionne de la présidence du NSCAD en 1990, mais il demeure professeur à temps plein jusqu’à sa retraite en 2005 de la désormais (depuis 2003) Université NSCAD (il continue d’enseigner à temps partiel jusqu’en 2011). Artiste actif, Kennedy participe à des expositions tout au long de sa vie. En 2000, le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE) et le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) lui consacrent une rétrospective, Garry Neill Kennedy: Work of Four Decades/Garry Neill Kennedy. Quarante ans de création, assortie d’une tournée nationale. En 2012, les MIT Press (en collaboration avec le MBANE et l’Université NSCAD) publient l’histoire monumentale de Kennedy, The Last Art College: Nova Scotia College of Art and Design, 1968–1978. En 2014, pour enseigner à l’Université de la Colombie-Britannique, il s’installe à Vancouver où il décède en 2021.
Bernard Riordon (né en 1947)
En 1973, Bernard Riordon obtient une maîtrise en histoire canadienne de l’Université Saint Mary’s. Pendant ses deux années d’études, il travaille à la galerie d’art de l’université, où il assiste le directeur de l’époque, Robert Dietz. Ce dernier recommande Riordon à la Galerie d’art de la Nouvelle-Écosse (GANE) pour le poste de conservateur de la Centennial Art Gallery, créée par la GANE en 1967 et située à l’époque dans une ancienne poudrière de la Citadelle de Halifax. Nommé à ce poste en 1973, Riordon ne l’a jamais regretté.
En 1975, la GANE déménage dans les locaux nouvellement libérés du Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD) sur Coburg Road, et plus tard cette année-là, après l’adoption d’une loi provinciale, la GANE renaît sous le nom de Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE), avec Riordon comme directeur et conservateur. En 1976, Riordon organise la première exposition itinérante du MBANE, Folk Art of Nova Scotia (L’art populaire de la Nouvelle-Écosse), qui circule au pays en 1977 et 1978, notamment à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada). Cette exposition permet au public canadien de découvrir des artistes populaires de Nouvelle-Écosse, tels que Collins Eisenhauer (1898-1979), Ralph Boutilier (1906-1989) et, plus important encore pour la carrière ultérieure de Riordon, Joseph (Joe) Norris (1924-1996) et Maud Lewis (1901-1970).
Au cours des décennies suivantes, Riordon chapeaute la création du premier espace permanent du MBANE, inauguré en 1988; il est aussi à l’origine de l’expansion du musée, qui voit le jour en 1998 (et qui abrite également la maison restaurée de Maud Lewis), ainsi que de l’ouverture officielle en 2006 d’un emplacement satellite du musée à Yarmouth. Il organise des expositions itinérantes nationales des œuvres de Maud Lewis et de Joe Norris, et il écrit un livre sur ce dernier, publié en 2000. Sous sa direction, l’art populaire est sans doute le principal centre d’intérêt du musée, et il contribue à faire rayonner l’œuvre de Maud Lewis auprès d’un public plus large.
Riordon est responsable de la croissance du MBANE depuis ses origines en tant que société de collection, alors petite organisation principalement dirigée par des bénévoles qui avaient tenté, en vain, de créer un musée permanent pendant près de soixante-dix ans. Sous sa direction, le musée est passé d’une institution ne comptant qu’un seul membre du personnel, en 1973, à un musée d’art professionnel comptant une équipe de plus de quarante personnes, vingt ans plus tard.
Né à Bathurst, au Nouveau-Brunswick, Riordon est toujours propriétaire d’une maison et d’une ferme dans la ville voisine de Pokeshaw. Avec son épouse, Lillian Riordon, ils ont quatre enfants. En 2002, Riordon prend sa retraite du MBANE et devient directeur et chef de la direction de la Galerie d’art Beaverbrook (aujourd’hui le Musée des beaux-arts Beaverbrook), à Fredericton, plus tard la même année. Riordon est nommé officier de l’Ordre du Canada en 2002 et reçoit un diplôme honorifique de l’Université Saint Mary’s en 2009. En 2013, il prend sa retraite du musée et est nommé directeur émérite.
David Woods (né en 1959)
En 1998, l’exposition révolutionnaire In This Place: Black Art in Nova Scotia (En ce lieu : l’art noir en Nouvelle-Écosse), une exposition sur plus d’un siècle d’art afro-néo-écossais, se tient à la Anna Leonowens Gallery du Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD). Première exposition de ce type en Nouvelle-Écosse, elle est organisée par David Woods, qui joue un rôle essentiel en attirant l’attention du grand public sur l’histoire de l’art noir en Nouvelle-Écosse.
In This Place présente des œuvres couvrant une période qui s’étend de 1880 à 1998. Comme le souligne un article récent de Kelsey Adams dans le magazine Canadian Art, «du conseil de direction pendantd’une certaine manière, Woods travaille comme un archiviste, documentant ces pièces avant qu’elles ne se perdent dans la mémoire ». Conçu à l’origine comme une petite exposition d’œuvres de personnes noires diplômées de l’école, le projet reçoit si peu de candidatures que Woods est invité à contribuer en recrutant plus d’artistes de la communauté noire. Mais il fait bien davantage. Sous sa direction, la petite exposition se transforme en un événement rassemblant plus de 100 œuvres de 46 artistes, exposition qui est également présentée dans d’autres villes néo-écossaises (Shelburne, Sydney et Stellarton). Des artistes contemporain·es, tels Justin Augustine, Jim Shirley (un artiste américain expatrié qui a obtenu la première exposition solo pour un artiste noir à Halifax à la MSVU Art Gallery en 1977) et Crystal Clements, exposent aux côtés d’artistes des générations précédentes, telle Audrey Dear Hesson (née en 1929), une artiste d’art populaire qui, en 1951, devient la première artiste noire à obtenir un diplôme du Nova Scotia College of Art (NSCA).
Natif de Trinité-et-Tobago, David Woods immigre au Canada en 1972. Sa famille s’installe à Dartmouth, qui fait aujourd’hui partie de la municipalité régionale de Halifax. En 1981, Woods accepte un emploi temporaire au sein du Black United Front (BUF), dans le cadre duquel on lui demande de concevoir un programme destiné aux enfants noir·es élevé·es dans des familles d’accueil blanches, dans le but de leur faire connaître leur héritage culturel. Au lieu de cela, Woods ouvre le programme à l’ensemble de la communauté étudiante noire de Halifax, par l’intermédiaire de groupes de jeunes nouvellement créés dans les écoles secondaires. Lorsque le programme est abandonné par le BUF un an plus tard, Woods crée le Cultural Awareness Youth Group (CAYG), une agence indépendante de développement du leadership des jeunes et d’éducation culturelle, afin de poursuivre ses programmes populaires. Woods dirige le CAYG jusqu’en 1989.
Artiste prolifique, écrivain, commissaire et organisateur, Woods est un défenseur infatigable de l’art noir en Nouvelle-Écosse depuis des décennies. En 1984, par l’entremise du CAYG, il organise les premiers programmes publics du Mois de l’histoire des Noirs dans la province et, en 1992, il est l’organisateur fondateur du Black Artists Network of Nova Scotia. En 2006, Woods est nommé conservateur associé de l’art afro-canadien au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE). Bien qu’il s’agisse d’un poste à temps partiel qui sera de courte durée (financé par des fonds privés, le poste est progressivement supprimé après le départ du directeur, Jeffrey Spalding [1951-2019], en 2007), l’impact de Woods est immédiat : il organise deux expositions d’art contemporain noir, Visions in African Nova Scotian Art (Visions d’un art afro-néo-écossais) ainsi que The Soul Speaks (L’âme parle), et chapeaute l’acquisition d’un tableau d’Edward Mitchell Bannister (1828-1901), un peintre américain né au Nouveau-Brunswick qui a été l’un des rares artistes afro-américains du dix-neuvième siècle à obtenir une reconnaissance significative (Bannister a été le premier artiste d’origine africaine à remporter un prix artistique majeur aux États-Unis, lorsqu’il a reçu la médaille de bronze pour Under The Oaks (Sous les chênes) à l’exposition du centenaire de Philadelphie en 1876.) Grâce à Woods et Spalding, Halifax est le seul endroit au Canada à accueillir l’importante exposition itinérante, Mary Lee Bendolph, Gee’s Bend Quilts, and Beyond (Mary Lee Bendolph, les courtepointes de Gee’s Bend et au-delà) organisée conjointement par l’Austin Museum of Art et la Tinwood Alliance d’Atlanta. Artiste lui-même, Woods expose ses œuvres (peintures, installations et courtepointes) au sein de galeries tant en Nouvelle-Écosse qu’au Canada.
Par ailleurs, Woods continue d’agir à titre de commissaire et d’organisateur. Une version augmentée de son exposition de 2012 sur les courtepointes africaines de Nouvelle-Écosse, The Secret Codes: African Nova Scotian Quilts (Les codes secrets : courtepointes africaines de Nouvelle-Écosse), est organisée pour une tournée nationale au Canada de 2022 à 2024. À l’heure actuelle, il prépare également une exposition sur l’œuvre d’Edward Mitchell Bannister avec la Owens Art Gallery de Sackville, au Nouveau-Brunswick.
Dianne O’Neill (née en 1944)
Depuis plus de quarante ans, personne n’écrit autant sur l’histoire de l’art de la Nouvelle-Écosse et de sa capitale que Dianne O’Neill. Professeure en cette discipline, gestionnaire de collections et organisatrice d’expositions, c’est en tant que conservatrice et historienne de l’art qu’elle marque le plus le monde de l’art à Halifax, étant, comme ses prédécesseurs Harry Piers (1870-1940) et Donald Cameron (D. C.) Mackay (1906-1979), une éminente spécialiste de l’histoire de l’art haligonienne. Ce qui la distingue, cependant, c’est son insistance à documenter les histoires des individus et des groupes qui sont souvent exclues de la trame historique, en particulier les femmes et les artistes autochtones.
Native de Port Elgin, en Ontario, Mora Dianne Guthrie obtient un doctorat en histoire du théâtre et en histoire de l’art de l’Université d’État de Louisiane en 1976. Elle épouse Patrick Bernard O’Neill en 1967 et s’installe à Halifax lorsque son mari accepte un poste de professeur à l’Université Mount Saint Vincent.
De 1978 à 2019, Dianne O’Neill occupe diverses fonctions au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE) : bénévole, conservatrice invitée, agente de recherche, rédactrice et, surtout, conservatrice adjointe, puis conservatrice associée des estampes et des dessins historiques. Au cours de sa carrière au MBANE, elle organise ou coorganise plus de soixante-dix expositions, dont, en 1993, Pe’l A’tukwey: Let Me… Tell a Story: Recent Work by Mi’kmaq and Malise Artists (Pe’l A’tukwey : Laissez-moi… raconter une histoire : œuvres récentes d’artistes mi’kmaw et malécites [wolastoqey]), la première exposition muséale d’art contemporain mi’kmaw et wolastoqey jamais organisée; des rétrospectives complètes de Forshaw Day (1831-1903), Henry M. Rosenberg (1858-1947), Frances Jones Bannerman (1855-1944), et Margaret Campbell Macpherson (1860-1931); et des expositions historiques telles que At the Great Harbour: 250 Years on the Halifax Waterfront (Au Grand port : 250 ans au bord de l’eau à Halifax), en 1999, et Choosing Their Own Path: Canadian Women Impressionists (Choisir sa voie : les femmes impressionnistes canadiennes) en 2001-2002. O’Neill organise également des projets d’art contemporain, notamment une exposition des œuvres d’Alan Syliboy (né en 1952) en 1992 (sa première exposition dans une galerie d’art publique) et l’exposition itinérante Art Nuns: Recent Work by Nancy Edell (L’imagerie de la religieuse : œuvres récentes de Nancy Edell), de 1991 à 1993.
L’intérêt d’O’Neill pour l’histoire de l’art haligonienne et néo-écossaise conduit à d’importants projets de publication tels que The Nova Scotia Society of Artists: Exhibitions and Members, 1922–1972 en 1997, et Paintings of Nova Scotia: From the Collection of the Art Gallery of Nova Scotia en 2004, cette dernière publication ayant remporté le prix « Best Atlantic Published Book » aux Atlantic Book Awards en 2005. Depuis qu’elle a pris sa retraite du MBANE en 2019, O’Neill demeure active en tant que chercheuse, rédactrice et éditrice, et travaille actuellement à la révision de Portraits of a Province:1605–1945 de Mackay en vue de sa publication.
Catherine Anne Martin (née en 1958)
Première réalisatrice mi’kmaw de la région atlantique, l’artiste et militante Catherine Anne Martin est animée par la défense des droits autochtones pendant toute sa carrière. Réalisatrice de nombreux documentaires et longs métrages, elle a également produit des programmes pour la télévision et à des fins éducatives. En 1990, elle réalise son premier projet cinématographique, Minqon Minqon, un profil de l’artiste Wolastoqey Shirley Bear (1936-2022). En 1991, elle coréalise Kwa’nu’te’: Micmac and Maliseet Artists (v.f. Kwa’nu’te’ artistes micmacs et malécites) avec Kimberlee McTaggart pour l’Office national du film du Canada (ONF). Le film présente huit artistes (Ned Bear, Shirley Bear, Lance Belanger, Peter Clair, Mary Louise Martin, Leonard Paul (né en 1953), Luke Simon et Alan Syliboy (né en 1952) et remporte de nombreux prix, dont un prix d’excellence au Festival du film de l’Atlantique en 1991. Son documentaire de 2002, The Spirit of Annie Mae, raconte les efforts déployés pendant trois décennies pour élucider le mystère du meurtre de l’activiste autochtone Annie Mae Pictou Aquash. « J’ai été inspirée très jeune par l’engagement d’Annie Mae à rendre le monde meilleur pour nos peuples autochtones, en particulier pour les Mi’kmaq, dit-elle. Elle croyait au pouvoir de l’éducation, au droit de nos peuples à l’éducation et à l’égalité. »
La carrière de Martin l’amène également à occuper des postes de direction dans les domaines de l’éducation et des arts. Elle est présidente du conseil d’administration de la Society of Canadian Artists of Native Ancestry et siège aux conseils d’administration de l’Université de King’s College et du Réseau de télévision des peuples autochtones. Elle contribue également à l’élaboration de programmes éducatifs pour les femmes et les jeunes Mi’kmaq et autres nations autochtones dans tout le Canada atlantique, notamment à l’Université Dalhousie, à l’Université St. Francis Xavier et à l’Université Mount Saint Vincent.
Ses initiatives artistiques, son mentorat et son activisme sont récompensés par de nombreux prix, notamment un prix WAVE décerné par Women in Film and Television Atlantic en 2015, l’Ordre du Canada en 2017, et une médaille du 150e anniversaire du Sénat du Canada en 2019. En 2021, elle reçoit la plus haute distinction artistique de Nouvelle-Écosse, le prix Portia White.
Martin est membre de la Première Nation Millbrook et vit à Halifax.
Donald R. Sobey (1934-2021)
C’est depuis sa maison sur la côte nord de la Nouvelle-Écosse que Donald R. Sobey, qui n’a jamais vécu à Halifax, allume l’étincelle qui transforme le rôle de la ville sur la scène artistique contemporaine du pays. Il devient l’un des mécènes canadiens les plus influents de sa génération. Grâce à ses nombreux fonds et fondations, la famille Sobey soutient les arts dans ce pays depuis des décennies.
Natif d’une petite ville maritime qu’il ne reniera jamais, le père de Sobey, l’épicier Frank Sobey, se hisse au sommet du monde des affaires canadien. Aujourd’hui encore, le siège social de l’entreprise multinationale qu’il a fondée se trouve dans la petite ville de Stellarton, en Nouvelle-Écosse. Formé dès sa jeunesse dans l’entreprise familiale, Donald R. Sobey éprouve très tôt un amour durable pour l’art canadien. Il n’a qu’une vingtaine d’années lorsqu’il achète sa première œuvre, une huile de John Lyman (1886-1967). Pourtant, il ne grandit pas entouré d’art. « Ma mère aimait les calendriers, avec de grandes images, se souvient-il, [mais] je suis le premier à avoir acheté une peinture. » Il finit par aider son père à constituer une collection familiale de peintures canadiennes, tout en développant sa propre collection. Aujourd’hui, le Fonds Sobey compte parmi les meilleures collections privées d’art impressionniste et moderniste canadien.
C’est une rencontre au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse (MBANE), en novembre 2001, qui consacre le rôle de Sobey en tant que bâtisseur important de l’histoire de l’art haligonienne. Sobey, qui est alors l’un des principaux philanthropes culturels au pays, a déjà exercé deux mandats de président du conseil d’administration du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Il propose à Pierre Théberge (1942-2018), alors directeur du musée, de créer un prix pour l’art canadien. Sobey collectionne les œuvres d’art historiques, mais Théberge lui propose une autre voie : « Il y a un espace que personne n’a construit, et c’est celui de l’art contemporain », dit-il à Sobey. Tous deux présentent l’idée d’un tel prix au MBANE, où j’étais à l’époque conservateur de l’art contemporain. J’ai été chargé de développer l’idée.
Au cours de ses deux décennies d’existence, le Prix Sobey pour les arts devient ce que l’ancien directeur du MBAC, Marc Mayer (né en 1956), a décrit comme « la plus prestigieuse distinction en art contemporain canadien ». Bien que le prix soit désormais géré par le MBAC, pendant les treize années où il est décerné à Halifax, il déclenche une renaissance pour les artistes de la région et permet à la ville de participer à la conversation nationale et internationale sur l’art comme elle ne l’avait pas fait depuis les années 1970, à l’apogée de l’ère conceptuelle du Nova Scotia College of Art and Design (aujourd’hui l’Université NSCAD).