Joseph Beuys, 100 vues de profil 1980
En 1980, Arnaud Maggs sollicite le célèbre artiste conceptuel allemand Joseph Beuys (1921-1986) pour un projet de portrait qui aboutit finalement à deux grilles, l’une de vues de profil et l’autre de vues de face. Chaque œuvre comprend cent photographies à la gélatine argentique carrées de l’artiste mythique posant devant un fond texturé. Non montés et non encadrés, les tirages sont fixés pour être installés directement sur le mur de la galerie à l’aide de carrés de Plexiglas et de crochets à tendre.
Joseph Beuys, 100 Frontal Views (Joseph Beuys, 100 vues de face), 1980, est une série de portraits en buste de Beuys, coiffé de son chapeau légendaire et regardant directement le spectateur. Dans Vues de profil, Maggs montre Beuys de profil, le regard dirigé vers la droite. « Sa stratégie, explique Maggs, était de défier l’appareil photo et de faire en sorte que chaque photo soit exactement la même. » Présentés dans l’ordre dans lequel ils ont été saisis, les portraits disposés en grille invitent à l’observation analytique, le spectateur cherchant des moments de perturbation et de différence dans la répétition exhaustive des plans. « En regardant de très près et en passant un certain temps avec [les vues de face], soutient Maggs, on voit toutes sortes de choses dans les yeux de Beuys. On voit de la fatigue, on voit de l’ouverture, on voit de la méfiance, on voit tout. »
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Arnaud Maggs, Joseph Beuys, 100 Profile Views (Joseph Beuys, 100 vues de profil), 1980
100 épreuves à la gélatine argentique, 40,3 x 40,3 cm chacune
Installation à The Power Plant, Toronto, 1999, photographe inconnu -
Arnaud Maggs, Joseph Beuys, 100 Profile Views (Joseph Beuys, 100 vues de profil), v.1980
Encre sur papier, 11 x 17 cm
Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa
Les portraits de Beuys sont importants non seulement parce qu’il s’agit d’un artiste de renom, mais aussi parce qu’ils mettent en évidence la durée, une préoccupation thématique récurrente dans l’œuvre de Maggs. Alors que la variation est très subtile d’un portrait à l’autre dans Vues de profil, au fil de la centaine de photographies, les épaules de Beuys se voûtent progressivement. Dans cette pièce, la disposition séquentielle des portraits s’éloigne des clichés anthropométriques qu’évoquent les œuvres précédentes de Maggs pour explorer les possibilités narratives de la grille.
Maggs expose pour la première fois les Vues de face à la galerie Optica de Montréal, en 1983. Dans leur configuration originale, les portraits de Beuys étaient disposés en une grille de cinq rangées de vingt images chacune. Le schéma d’accrochage initial choisi par Maggs découle directement de 5 x 20 Altstadt Rectangle (5 x 20 rectangles Alstadt), 1967, une sculpture minimaliste en métal disposée au sol créée par l’artiste américain Carl Andre (né en 1935) que Maggs avait vue à Minimal + Conceptual Art aus der Sammlung Panza (Art minimal + conceptuel de la collection Panza), une exposition d’art minimaliste et conceptuel de la collection Panza montée au Kunstmuseum Düsseldorf en 1980.
En 1989, lorsque Maggs installe Vues de face à la Stux Gallery de New York, les restrictions spatiales entraînent un ajustement de l’accrochage de l’œuvre. Tout en conservant les cent images, l’artiste les dispose en six rangées : dix-sept sur chacune des cinq premières rangées et quinze sur la sixième. Maggs laisse deux espaces vides du côté droit de la dernière rangée. La modification du schéma d’accrochage donne lieu à des compositions qui ne sont plus des unités discrètes et fermées. Au contraire, Maggs déplace le centre d’intérêt du fini – une capsule temporelle – vers l’infini. Comme il l’explique, « c’est un peu comme si ça disait : “Cela peut continuer”. C’est ouvert en quelque sorte ». Le nouveau schéma altère la signification de l’œuvre, bien que de manière subtile, révélant le potentiel d’interprétation offert par la disposition de la grille elle-même.