D’après Nadar : Pierrot le photographe 2012
D’après Nadar comprend neuf autoportraits autobiographiques d’Arnaud Maggs habillé en Pierrot, le personnage italien de la commedia dell’arte célèbre dans les pantomimes françaises des années 1800. Dans cette dernière œuvre, Maggs se rattache à l’histoire, notamment celle de l’art et de la photographie. Cette fois, il s’insère dans l’histoire, manœuvrant simultanément le territoire historique et contemporain. Les œuvres ont été créées d’après une série de portraits du photographe et caricaturiste du dix-neuvième siècle Nadar (Gaspard-Félix Tournachon) (1820-1910) et de son frère, Adrien Tournachon (1825-1903), qui ont réalisé plus de quinze images du mime français Charles Deburau (1829-1873) interprétant le personnage de Pierrot.
Maggs s’est fait faire un costume de Pierrot pour sa performance photographique. Les boutons exagérés et les boucles surdimensionnées de ses pantoufles reproduisent ce que Deburau portait dans les photographies du dix-neuvième siècle. La tenue comporte également la touche théâtrale supplémentaire – absente de l’habit de Deburau – d’un col Pierrot, qui encadre son visage peint. Le blanc crème de son costume et de son maquillage fait contraste sur la toile de fond noire du studio.
Dans l’œuvre D’après Nadar, Maggs orchestre une conversation entre plusieurs artistes : lui-même, Nadar et Deburau. À cette liste, le critique Robert Enright ajoute l’artiste Katiuska Doleatto, l’assistante et amie de longue date de Maggs, qui a travaillé sur le tournage. Dans l’interprétation de Maggs des images historiques, l’artiste est représenté en couleur et à grande échelle, créant une invitation convaincante à sa performance. Fidèle à l’approche adoptée pour la majorité de ses œuvres ultérieures, l’artiste accroche en rangées les images D’après Nadar. Il n’y a cependant pas d’ordre défini, ce qui est inhabituel. Des récits émergent pourtant, qui, selon la commissaire Sophie Hackett, « semblent s’ajouter à une vie, une autobiographie qui se déroule sous nos yeux ».
Maggs a découvert les images historiques à la librairie du Musée des beaux-arts du Canada, en 2011 : « J’ai jeté un coup d’œil aux [photographies] et je me suis dit que ça allait marcher pour moi. » Il interprète ensuite plusieurs rôles liés à l’histoire de sa propre vie. « J’ai fait ma version du Pierrot photographe et toutes les autres sont autoréférentielles », explique Maggs à Enright. La série comprend également Pierrot and Bauchet (Pierrot et Bauchet) – un support publicitaire pour le film de Bauchet –, Pierrot the Archivist (Pierrot l’archiviste), Pierrot the Painter (Pierrot le peintre), Pierrot the Collector (Pierrot le collectionneur), Pierrot the Musician (Pierrot le musicien), Pierrot the Storyteller (Pierrot le conteur), Pierrot in Love (Pierrot amoureux) et Pierrot receives a Letter (Pierrot reçoit une lettre).
À l’aide d’une variété d’accessoires et d’indices, Maggs communique les détails de sa propre vie et de sa carrière. Dans Pierrot le conteur, un livre historique à la main, le Pierrot de Maggs semble prendre grand plaisir au contenu de ses pages, tout comme l’artiste lui-même lorsqu’il a vu Pierrot photographe de Nadar. Maggs apparaît deux fois dans Pierrot l’archiviste : dans le rôle de Pierrot, il se tient près d’une pile de boîtes d’archives, le regard fixé sur son autoportrait photographique, une vue de face.
La force de l’œuvre D’après Nadar réside dans la démonstration de ce dont la photographie est capable, soit représenter à la fois le passé, le présent et l’avenir. La photographie la plus touchante est Pierrot reçoit une lettre. Dans cette composition, Maggs fait directement référence à sa propre pratique. Pierrot brandit une enveloppe de papier à lettres de deuil tirée de la collection représentée par Notification iii, 1996. Ses sourcils inquiets sont prononcés et le X noir de l’enveloppe est centré sur sa poitrine. Le photographe et ancien assistant de Maggs, Mike Robinson (né en 1961), qui était aussi un ami proche, témoigne : « [D’après Nadar,] c’est le lever de rideau […]. Il sait qu’il est en train de mourir. »
D’après Nadar aura toujours un caractère poignant, car ces autoportraits autobiographiques et commémoratifs ont été achevés très peu de temps avant la mort de Maggs. L’œuvre a été présentée pour la première fois à la Susan Hobbs Gallery de Toronto, en mars 2012.