Cercles chromatiques de M. E. Chevreul 2006
Avec Cercles chromatiques de M. E. Chevreul, Arnaud Maggs continue d’explorer le potentiel esthétique et conceptuel des objets historiques. Le détail présenté ici montre un cercle de soixante-douze couleurs pures – les couleurs franches – proposées par Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), un éminent chimiste français qui faisait partie d’un groupe intéressé par l’exploration de la perception humaine de la couleur. Les teintes sont présentées dans cette planche à leur chroma, ou saturation, maximale.
La série de Maggs reprend onze des douze cercles chromatiques du livre de Chevreul de 1861, un atlas des couleurs intitulé Exposé d’un moyen de définir et de nommer les couleurs. De cet ouvrage, l’artiste a photographié un exemplaire conservé par la collection de livres rares de la bibliothèque Robertson Davies du Massey College de Toronto. Cet ouvrage présente un système d’analyse détaillé qui définit une nomenclature et une classification des couleurs, ce qui attire l’attention de Maggs qui s’est intéressé tout au long de sa carrière aux systèmes de classification et d’identification. Les planches montrent la désaturation de la couleur affaiblie par l’ajout progressif de noir, chaque étape montrant une transition croissante subtile entre les tons. Pour finir, le cercle chromatique devient incolore. C’est un processus que Maggs décrit comme s’apparentant au « passage du jour à la nuit, du positif au négatif, de la vie à la mort ».
Les plaques de Chevreul ont été gravées et imprimées par René-Henri Digeon à l’aide d’un procédé d’aquatinte en 4 couleurs, et comme le souligne l’historienne de l’art Alexandra Loske, les 14 420 tons représentés dans les cercles chromatiques de Chevreul « font de ces plaques des chefs-d’œuvre de l’impression en couleur à la fin du dix-neuvième siècle ». Maggs est attiré par la forme des cercles, mais aussi par le caractère artisanal des estampes primées. Le livre original ayant une hauteur de 36 centimètres, les images de Maggs, à 99,1 sur 81,3 centimètres, sont des agrandissements spectaculaires.
Cette œuvre met en lumière des thèmes omniprésents dans la pratique artistique de Maggs : le temps et la durée. La taille exagérée des plaques amplifie l’état des pages de l’atlas, attirant l’attention sur les traces de leur manipulation au fil des ans – les vies qu’elles ont vécues, pour ainsi dire. L’échelle et l’enchaînement des cercles chromatiques de Maggs invitent le spectateur à un engagement du corps. Accrochées en rangées, les images de l’installation Cercles chromatiques de M. E. Chevreul soulignent la démarche d’exploration du temps menée par l’artiste. Pas à pas, le spectateur suit l’évolution progressive des teintes de couleur, qui deviennent plus foncées à chaque étape, de la clarté maximale à l’obscurité totale.
Cercles chromatiques est le prolongement d’une importante exploration antérieure de la classification des couleurs, soit l’œuvre Werner’s Nomenclature of Colours (Nomenclature des couleurs de Werner), 2005, dans laquelle Maggs a photographié les nuanciers d’un livre du même titre publié en 1821. Cet ouvrage est l’œuvre du peintre floral Patrick Syme (1774-1845), qui s’est appuyé sur les travaux du géologue et minéralogiste allemand Abraham Gottlob Werner (1749-1817) pour élaborer un catalogue de couleurs à l’usage des artistes et des scientifiques. Cette série de nuanciers organisés par couleur est devenue un outil précieux pour les études sur le terrain. « Par exemple, un scientifique voulant décrire un oiseau blanc rougeâtre découvert ce jour-là […] consultait son guide, trouvait une couleur similaire et disait “ah oui, c’est similaire à ‘l’œuf d’une linotte grise’ ou à ‘l’envers d’une rose de Noël’” », explique Maggs, qui s’émerveille du côté pratique de la publication, mais aussi de sa poésie. Cette dualité se révèle dans son œuvre, qui comprend treize agrandissements spectaculaires des nuanciers de la publication originale.