Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige 1988
Le Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige comporte 828 épreuves Cibachrome de 20,3 x 25,4 cm figurant des numéros à 4 chiffres utilisés pour cataloguer la série 7000 de 33 tours de jazz enregistrés chez Prestige Records à New York. Cette œuvre réunit l’intérêt d’Arnaud Maggs pour les formes graphiques et typographiques et pour la collection, révélant une impulsion archivistique qui en est venue à définir son travail. Bien que cette impulsion marque un éloignement important par rapport au sujet humain, Maggs continue de mettre l’accent sur les systèmes d’identification et de classification, des thèmes que l’on retrouve dans des œuvres antérieures telles que 64 Portrait Studies (64 portraits-études), 1976-1978, et Ledoyen Series, Working Notes (Série Ledoyen, notes de travail), 1979.
Déconcerté par la nature apparemment arbitraire de certains systèmes de numérotation des catalogues, Maggs décide par son travail d’attirer l’attention sur le système privilégié par la maison de disques Prestige. Sa stratégie consiste à faire ressortir les signifiants numériques plutôt que les œuvres de jazz. Comme il l’explique, « j’ai fait en sorte que le système de catalogage prenne plus d’importance que ce qu’il catalogue ». L’importance qu’il accorde aux chiffres et aux associations avec la musique évoque le travail de l’artiste conceptuelle allemande Hanne Darboven (1941-2009), dont les œuvres tout aussi monumentales et exhaustives prolongent le langage du minimalisme et visualisent le temps à l’aide de codes numériques.
Chaque image rectangulaire du Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige comporte quatre grands chiffres blancs en Franklin Gothic Condensed sur un fond noir. L’approche typographique de Maggs rappelle la couverture minimaliste qu’il a réalisée pour le 13e Art Directors Club of Toronto Annual (1961), qui présente le chiffre 13 en grands caractères noirs sur fond blanc. Bien qu’il s’agisse effectivement d’images en noir et blanc, le Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige est réalisé en Cibachrome, un procédé couleur. Maggs plaisantait à l’effet que cette œuvre soit sa première « incursion dans la couleur ».
La Série Köchel, que Maggs réalise en 1990, fonctionne de manière similaire à la collection Prestige en ce sens qu’elle représente également une notice catalographique existante. Son sujet est le catalogue Köchel (Köchel-Verzeichnis), un système de numérotation conçu par le musicologue autrichien Ludwig von Köchel (1800-1877) pour répertorier chronologiquement toutes les compositions de Mozart. En attribuant à chacune un numéro précédé par la lettre K, parfois par KV, Köchel a catalogué plus de 600 pièces de musique, mais Maggs a défini des limites pour les œuvres de sa série. Tout comme il l’a fait pour ses portraits, Maggs signale ces paramètres dans ses titres, tels Köchel Series: Eighteen Piano Sonatas [for Ed Cleary] (Série Köchel : dix-huit sonates pour piano [pour Ed Cleary]) et Köchel Series: Six Quartets Dedicated to Haydn (Série Köchel : six quatuors dédiés à Haydn).
Le Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige et la Série Köchel démontrent l’imbrication productive de l’art conceptuel et du design graphique : ici, la typographie est essentielle au système qui définit l’œuvre. Dans chaque image de la Série Köchel, un seul numéro précédé de K – K.279, par exemple – est inscrit dans une police de caractères moderne à empattement, souligné et typographié à l’encre noire sur du papier chiffon blanc. Cette œuvre a été créée au cours des années où Maggs s’est éloigné des portraits photographiques pour explorer les formes de chiffres et de lettres. Il a travaillé avec le graphiste et typographe canadien Ed Cleary (1950-1994) sur la typographie, et lui a dédié Série Köchel : dix-huit sonates pour piano.
Le Catalogue complet des albums de jazz chez Prestige a stimulé l’intérêt analytique de Maggs pour la relation entre les images individuelles et l’œuvre dans son ensemble. Installée pour la première fois en 1988 à la galerie d’art autogérée YYZ de Toronto, la grille monumentale mesurait environ 3,35 sur 11,6 mètres. Chaque épreuve, non encadrée, était fixée au mur par le haut à l’aide de ruban adhésif. « Elles sont en quelque sorte accrochées comme des bardeaux, explique Maggs; la deuxième cache le ruban adhésif de la première. » L’installation est délicatement interactive, elle bruisse légèrement lorsque les visiteurs se déplacent dans la galerie et que l’air circule. À l’instar de l’ondulation rotative qui traverse l’œuvre André Kertész, 144 Views (André Kertész, 144 vues), 1980, de Maggs, le mouvement des images anime ici la grille et la notice.