Pique-mégots 1974
Alfred Pellan crée une série d’objets-souliers à partir de moule en plâtre en forme de chaussure auquel il incorpore divers objets domestiques. Son inspiration semble guidée par un humour grinçant : Pique-mégots, par exemple, est une chaussure de ville noire dont la pointe est munie d’un crochet où un mégot de cigarette est empalé. Les sculptures-souliers sont grandeur nature et réalistes, ce qui rend les ajouts ludiques d’autant plus incongrus. Pellan inscrit souvent le titre de l’œuvre sur sa surface et enrichit ainsi le sens de sa composition.
L’artiste conçoit cette série en 1974, à l’occasion d’une exposition tenue à la Galerie de la Société des artistes professionnels du Québec de Montréal. Ces œuvres sont un autre témoignage des liens de Pellan avec les théories surréalistes, dont les adeptes manifestent de l’intérêt pour la décontextualisation de l’objet : en sortant un objet de son contexte d’origine et en le recadrant au sein d’un nouvel ensemble de relations, il est possible d’élargir notre conception de la réalité.
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Alfred Pellan, L’exhibitionniste, 1974
Chaussure en cuir verni, plâtre, contreplaqué, encre et peinture, 15 x 32,5 x 15,4 cm
Musée national des beaux-arts du Québec, Québec -
Alfred Pellan, Veuve joyeuse, 1974
Chaussure en cuir, plâtre, offset sur papier, contreplaqué et peinture, 21,6 x 42,7 x 20,2 cm
Musée national des beaux-arts du Québec, Québec -
Alfred Pellan, Pour masochiste, 1974
Chaussure en cuir, plâtre, latex, métal, contreplaqué et peinture, 16,1 x 46,7 x 15,2 cm
Musée national des beaux-arts du Québec, Québec -
Alfred Pellan, Pince-fesse, 1974
Chaussure en cuir, plâtre, métal, contreplaqué et peinture, 81,8 x 29 x 15,3 cm
Musée national des beaux-arts du Québec, Québec
Des liens se dessinent entre cet objet et les œuvres du Mini-bestiaire, 1971-1975 : dans les deux cas, l’objet est l’incarnation concrète des idées, des pensées et des expériences de l’artiste. En plus de reconfigurer la signification des chaussures en les plaçant dans un nouveau contexte, Pellan fait référence au corps érotique dans cette série, notamment dans des œuvres telles que Pince-fesse, L’exhibitionniste, Veuve joyeuse et Pour masochiste, toutes réalisées en 1974. Si ces objets témoignent de la personnalité espiègle de l’artiste, leur but principal semble être de provoquer.
Les titres Pince-fesse et Pour masochiste (et l’action métaphorique que le public imagine à travers ceux-ci), révèlent un contenu sexuel latent. L’exhibitionniste et Veuve joyeuse sont moins subtils : les gros phallus attachés aux souliers, ainsi que l’image d’une femme nue dans Veuve joyeuse, ne laissent aucun doute quant à leur signification sexuelle. Si Pellan recontextualise effectivement la chaussure, les associations qu’il crée ne sont pas aussi farfelues qu’on pourrait le penser, puisque la chaussure elle-même peut être rattachée au fétichisme érotique. Dès lors, l’artiste semble simplement compléter la connexion mentale entre le pied et la sexualité qui a déjà cheminée dans l’inconscient de la personne spectatrice.
À cet égard, les objets-souliers érotiques de Pellan renvoient à des tensions sous-jacentes – après tout, de nombreuses sociétés imposent des limites strictes à l’expression du désir sexuel. Le corps humain a toujours été réglementé et contrôlé par des codes culturels partagés qui dictent les comportements sexuels considérés comme appropriés. Les chaussures de Pellan remettent en question ces restrictions en abordant et en exposant de manière ludique le désir et les fantasmes érotiques.
Ces objets-souliers nous rappellent ainsi une fois de plus l’importance de la liberté – la liberté d’expression et des contraintes sociales. Ils rappellent les nombreuses fois où Pellan a eu recours à des images et des symboles érotiques pour combattre la censure. Ses sculptures sexuellement chargées sont les manifestations d’une « exaltation positive et ludique, altruiste et subversive de l’amour, [résolue] à l’échelon social dans le scandale et la révolte […] ».