Mutons… 1974
Mutons… montre des visages, des mains désincarnées et des créatures fantastiques au sein d’un motif décoratif compliqué, schématisé par des masses monochromatiques colorées. Le contraste entre les tons rouge, rose, bleu et vert crée un impact émotionnel véhiculant une sorte d’angoisse. Cette œuvre est exemplaire de la pratique sérigraphique de Pellan, un procédé qu’il adopte à la fin de sa carrière.
La dichotomie traditionnelle entre le dessin et la couleur est résolue dans cette image, les deux techniques s’engageant dans un dialogue par le truchement duquel l’artiste crée son univers. La personne observatrice suit la ligne – tantôt courbe, tantôt rigoureusement droite – qui trace la composition : de fins contours noirs se mêlent à des formes animales et à une figure humaine schématisée. La couleur accentue ce mouvement et invite l’œil à embrasser l’ensemble de l’image. Tandis que la ligne déstabilise le regard avec ses ondulations apparemment sans fin, la couleur épouse les contours.
Comme le soutient l’historien de l’art Germain Lefebvre, le dessin domine l’œuvre graphique de Pellan et organise ses compositions. Ici, la ligne donne un sentiment de vitalité aux figures représentées. La composition, harmonieuse et élégante, reflète l’obsession de l’artiste pour la précision du dessin dont témoignent ses œuvres antérieures.
Tandis que les peintures de Pellan ont beaucoup retenu l’attention, ses expériences avec d’autres moyens d’expression – en particulier son œuvre graphique plus mature des années 1970 et 1980 – ont été peu étudiées, à quelques exceptions près. Pellan commence à expérimenter les procédés d’estampe à la fin des années 1960, dans l’un des ateliers du graveur Richard Lacroix (né en 1939). Il s’intéresse d’abord et avant tout à la sérigraphie, une technique qui consiste à créer une image en faisant passer de l’encre à travers un écran de tissu sur lequel un dessin a été tracé et en utilisant une substance imperméable pour masquer les zones à préserver sans encre. La sérigraphie connaît un essor dans les années 1960, ce qui reflète le désir croissant des artistes de produire des œuvres en dehors du champ des pratiques établies et convie à plus d’immédiateté. Dans un souci de démocratisation de l’art, Pellan cherche à élargir l’accès à son répertoire. En sérigraphie, il reprend ses anciennes pièces et joue avec le format, le langage visuel et la composition.
L’un des procédés d’impression les plus polyvalents, la sérigraphie permet d’attirer l’attention sur la couleur et la plasticité d’une œuvre, des facettes de l’art qui intéressent profondément Pellan. Le procédé qu’il exploite dans Mutons… crée une séparation nette dans la composition entre les différents corps, contribuant à un sentiment d’équilibre qui n’est démenti que par la couleur, utile pour établir « le climat, […] suggérer l’atmosphère ». Il obtient un résultat similaire dans plusieurs autres sérigraphies, dont Pop Shop, 1972, et Façonnage, 1973.