Trois filles sur un quai 1953
Trois filles sur un quai annonce la direction vers laquelle le travail de Colville évolue — des sujets campés dans des lieux reconnaissables de sa vie, mais empreints d’un sens de l’histoire et d’une importance qui font mentir leurs origines apparemment humbles. Trois filles sur un quai se démarque d’œuvres antérieures telles que Four Figures on a Wharf (Quatre personnages sur un quai), 1952, Coastal Figure (Figure côtière), 1951, ou Nudes on Shore (Nus sur rivage), 1950, qui montrent des figures inspirées par Henry Moore (1898-1986) dans des paysages monotones franchement teintés de surréalisme.
Ici, trois figures sont représentées dans une boîte rectangulaire sans profondeur, fermée de tous côtés par la structure du quai. La géométrie stricte crée un intense sentiment de convergence malgré la bande de ciel et d’horizon visible dans le coin supérieur droit du tableau. Cette œuvre, qui montre ouvertement trois jeunes femmes qui se déshabillent pour aller nager, donne le sentiment d’une baignade nue impromptue, du moins jusqu’à ce que l’on remarque que la figure la plus éloignée dans la composition porte un bonnet de bain. Il s’agit d’une baignade prévue, donc, et d’un abandon des maillots de bain entendu. Ces jeunes femmes sont dépeintes alors qu’elles se dévêtissent, chacune plus ou moins avancée dans la tâche. Notre point de vue est un peu plus loin en avant du quai, comme si nous étions l’un des membres du groupe, debout et observant cette scène qui a un air indéniable de rituel. Il n’y a rien de lascif ici; c’est plutôt comme si nous avions un aperçu privilégié de la vie privée de ces jeunes filles. Pourtant, leur simple baignade est chargée d’une importance symbolique.
Trois filles sur un quai témoigne de la dette de Colville envers les peintres de la Renaissance. L’artiste a souvent dit avoir passé des années à traiter ce qu’il a vu en quelques jours de visite au Louvre, à la fin de son service pendant la Seconde Guerre mondiale. Les influences de Masaccio (1401-1428) et de Paolo Uccello (1397-1475) sont particulièrement évidentes dans ce délicieux tableau. « L’œuvre de Colville est remplie de références visuelles et verbales qui mettent en valeur l’art du passé et la continuité avec le sien », note le critique Jeffrey Meyers. Trois filles sur un quai fait écho à l’iconographie des Trois Grâces et du Jugement de Pâris.
La composition de Colville adopte une représentation conventionnelle des Trois Grâces (Aglaé symbolise l’élégance et la splendeur; Thalie, la jeunesse, la beauté et la gaieté; et Euphrosyne, la joie et l’allégresse). Ce sujet est populaire dans toute l’histoire de la peinture occidentale, car il permet au peintre de présenter la forme féminine nue sous toutes ses faces — montrant la figure nue de devant, de derrière et de côté. Cet effet sculptural a été utilisé pour surmonter, du moins en partie, le point de vue unique imposé par la nature d’une représentation plate en deux dimensions. Les Trois Grâces et leurs attributs reflètent la beauté et la promesse de la jeunesse, tout comme les jeunes filles captées dans leurs préparatifs pour la baignade.