Pacifique 1967
Cette image évocatrice est l’un des tableaux les plus manifestement dramatiques de Colville depuis Cheval et train, 1954. Il s’agit de l’une des rares peintures de l’artiste qui représente un paysage — terrestre ou marin — qui ne soit pas « chez lui », que ce soit aux environs de Sackville, au Nouveau-Brunswick, ou de Wolfville, en Nouvelle-Écosse. Colville a terminé de peindre cette scène alors qu’il occupait un poste d’enseignement de six mois à Santa Cruz, en Californie. La scène est simple mais forte : une figure masculine regarde l’océan, au loin, et un revolver repose sur une table en bois sur laquelle s’étend, sur un côté de la surface, une règle en relief.
Comme presque tout le travail de Colville depuis Nu et mannequin, 1950, ce tableau s’articule en une composition géométrique méticuleusement conçue. Aucun élément n’est placé au hasard, ni n’est envisagé comme le simple reflet des observations de l’artiste. Deux éléments clés revêtent une grande importance pour Colville : la table à ouvrage, qui a appartenu à sa mère, et l’arme de poing, celle qu’il a reçue lors de son service pendant la Seconde Guerre mondiale. Colville a composé l’image à partir de différents éléments tirés de ses souvenirs et de son expérience, à partir de croquis apportés avec lui, et peut-être même à partir de photographies. La tension, dans cette œuvre, est créée en grande partie par la présence menaçante de l’arme à feu. La figure semble détendue, l’océan n’est pas particulièrement menaçant, et il n’y a rien d’autre dans la pièce pour ajouter de la tension ou distraire le spectateur.
Au cours des années 1950 et 1960, Colville est très influencé par l’existentialisme français, comme beaucoup d’artistes et de penseurs de sa génération. Les travaux de Jean-Paul Sartre (1905-1980) et d’Albert Camus (1913-1960) sont particulièrement percutants. « Cela semblait prodigieusement significatif, d’une manière que peu de gens peuvent comprendre aujourd’hui », remarque Colville. En formulant une réponse morale et éthique à la guerre, ce courant de pensée de l’après-guerre est lourd de tension et de traumatisme. Pourquoi ne pas se tuer dans un monde vide de certitude et de moralité? Le suicide est présenté comme un acte de volonté suprême, même si, en définitive, futile.
Dans Pacifique, Colville crée une image de ce dilemme moral, bien que la peinture puisse représenter une décision, la figure qui tourne le dos à l’arme, laissant supposer un rejet. Il peut s’agir d’une pause ou d’un moment de réflexion — après tout, « pacifique » signifie « paisible » — et cela est certainement une interprétation possible. Colville lui-même remarque : « Je ne pense pas que le tableau porte sur le suicide, je suppose que je pense à l’arme à feu et à la table comme étant des éléments nécessaires de la vie humaine, auxquels il est parfois possible de tourner le dos. » Pour l’historienne de l’art Helen J. Dow, l’arme à feu et la table avec sa règle intégrée représentent la justice : le glaive et la balance étant remplacés par des emblèmes plus prosaïques. L’auteur Hans Werner cite Colville, qui, d’accord avec l’interprétation de Dow, pousse la réflexion plus loin et voit l’utilisation du pistolet comme une méditation sur le pouvoir : « L’utilisation du pouvoir, [dit Colville], est un problème moral et philosophique clé, et c’est là le sujet de ses peintures avec des pistolets. » Seul le spectateur peut décider si cette image représente l’indécision ou la certitude, l’espoir ou le désespoir.