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Nu et mannequin 1950

Alex Colville, Nu et mannequin, 1950

Alex Colville, Nude and Dummy (Nu et mannequin), 1950
Émulsion à la gomme arabique avec glacis sur panneau, 76 x 99 cm
Musée du Nouveau-Brunswick, Saint John

Nu et mannequin est la première peinture de Colville à utiliser le système de perspective qui deviendra sa signature technique. Ici, les éléments de la peinture sont placés selon un squelette géométrique sous-jacent méticuleusement construit, plutôt que selon le style convenu et impressionniste qu’il a appris à l’école et utilisé dans bon nombre de ses œuvres de guerre. Il s’agit aussi de l’un de ses premiers tableaux vendus à un musée (le Musée du Nouveau-Brunswick, Saint John) et le tout premier tableau qu’il considérait comme une œuvre de maturité. Pour Colville, c’est-là le signe de son émergence comme artiste sérieux : « J’avais trente ans lorsque j’ai enfin fait quelque chose digne d’intérêt. » En réponse à ce commentaire, l’historienne de l’art Helen J. Dow remarque : « Ce jugement ne repose pas sur le fait d’avoir reçu une reconnaissance publique. Il s’agit plutôt d’une prise de conscience de sa maîtrise de la conception et de sa solide compréhension de la relation entre la forme et l’espace auxquelles il est parvenu pour la première fois avec cette peinture. »

 

Art Canada Institute, Alex Colville, Study for Nude and Dummy, 1950
Alex Colville, Study for Nude and Dummy (Étude pour Nu et mannequin), 1950, encre et aquarelle sur papier, 30,5 x 40,6 cm, Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen, Université de Moncton.

La scène de Nu et mannequin se situe dans un grenier (précisément l’atelier de Colville dans le grenier de sa maison de Sackville), un grenier étrangement dénudé de tout objet, à l’exception de la figure féminine solitaire et du mannequin de la couturière. Debout à la fenêtre, la femme nue regarde par-dessus son épaule. Elle regarde peut-être le mannequin, ou encore l’artiste (ou son remplaçant, nous, les spectateurs) — ils sont tous deux dans son champ de vision.

 

Dans cette scène, le mannequin est l’élément perturbateur — une représentation fragmentée de la femme à la fenêtre, dépourvue de tête, de bras et de bas du corps. Le mannequin peut être interprété comme la représentation d’un corps mutilé, ce qui ajoute un élément sombre à l’œuvre. Cette interprétation est d’ailleurs discutée dans des critiques d’œuvres ultérieures de l’artiste. Ainsi, en 1992, le critique Shane Nakoneshny note que « les femmes (et certains hommes), dans le travail [de Colville], se voient souvent refuser la subjectivité, et leurs visages et leurs mains sont dissimulés. » Bien qu’il soit tentant de voir en cette œuvre une étude de la femme-objet, l’air décontracté avec lequel la figure regarde par-dessus son épaule mine cette interprétation.

 

Cette image démontre bien l’intérêt que Colville porte à imprégner le quotidien de contenu hautement symbolique, jumelant une figure humaine et un objet prenant sa place, dans une relation binaire qui définira l’œuvre de maturité du peintre. L’iconographie religieuse de la peinture européenne ancienne — du temps où un artiste pouvait s’attendre à ce que son public connaisse les implications allégoriques d’une scène de martyre ou autre scène biblique — intrigue Colville. Comme l’exprime si éloquemment le théoricien littéraire Northrop Frye (1912-1991), la Bible était le « grand code », un dépositaire commun d’idées, de symboles et d’allégories.

 

Dans Nu et mannequin, comme dans d’autres œuvres de Colville des années 1950, on pourrait percevoir une connivence avec ses homologues européens du mouvement surréaliste, tels que René Magritte (1898-1967) ou même Salvador Dalí (1904-1989), mais si de telles influences existent, Colville ne les a jamais admises. Il souligne plutôt avoir cherché à éviter l’influence. Dans Nu et mannequin, Colville établit une conversation, un va-et-vient qui défie toute tentative de catégorisation simple ou de conclusion facile.

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