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L’œuvre de William Brymner a longtemps résisté à toute définition stylistique stricte. Bien que formé en France dans la tradition académique, Brymner embrasse également la peinture en plein air et est l’un des premiers artistes canadiens à écrire sur l’impressionnisme et le postimpressionnisme. La plupart de ses œuvres connues sont réalisées à l’huile; mais au plus fort de sa carrière, il explore l’aquarelle, ce qui lui vaut les éloges de la critique.

 

 

La tradition académique et le nu

Pour William Brymner et nombre de ses contemporains, le dessin, et en particulier le dessin de la figure humaine, est une compétence artistique essentielle. Les critiques reconnaissent le dessin comme étant une qualité dans une peinture : c’est la base sous les couleurs, la structure formelle sous-jacente. Dans les peintures de Brymner, son « dessin » est souvent admiré. Il l’a longuement étudié et accorde une grande importance à cet art.

 

William Brymner (attribué à), Standing Nude (Nu debout), s.d., huile sur toile, 81,3 x 64,8 cm, collection privée, Ottawa.
William Brymner, Étude de nu, v.1900, mine de plomb et pastel sur papier, 34,6 x 22 cm, Musée d’art de Joliette.

Le peintre canadien reçoit sa formation initiale dans des écoles d’art françaises, où les étudiants passent normalement du dessin de moulages au dessin d’après modèles vivants, et ses études formelles s’inscrivent dans cette tradition académique. Le nu est souvent considéré comme le plus grand critère d’évaluation de la capacité d’un artiste à dessiner. Après avoir passé plusieurs semaines à travailler à partir de moulages, Brymner commence à croquer des modèles vivants, hommes et femmes, mais il trouve que dessiner le torse d’une femme est « la chose la plus difficile à faire […] Je sais que je n’aurais pas pu m’y essayer en octobre dernier, » confie-t-il dans une lettre à son père au printemps 1884, alors qu’il étudiait l’art depuis six ans. Brymner continue à travailler sur la figure humaine pendant des décennies et il en fait un élément central de son enseignement à la Art Association of Montreal (AAM).

 

Les efforts de Brymner pour peindre le nu féminin dans les années 1910 se sont développés à partir de ses premières études en France. Trois œuvres, Reclining Nude (Figure allongée), v.1915, Standing Nude (Nu debout), s.d., et Nude Figure (Nu), 1915, témoignent du défi que représente ce sujet. Dans ces œuvres, Brymner rend avec une remarquable subtilité les contours des muscles du corps féminin et les jeux de lumière qui les frôlent. Le décor dans lequel baignent les femmes, un paysage indéfinissable et un atelier, semble être une esquisse en comparaison — sans doute pour attirer l’attention du spectateur sur les capacités de Brymner à représenter la figure humaine.

 

Bien qu’il puisse être une partie importante d’un paysage, le dessin est considéré comme étant particulièrement essentiel aux œuvres à sujets humains, car c’est le dessin sous-jacent qui donne au corps sa structure et sa vraisemblance. Pour ces raisons, les critiques examinent le dessin non seulement de peintures qui représentent des figures vêtues mais également de celles qui dépeignent des nus. Ainsi, lorsque Brymner expose Prelude (Prélude), 1906, la figure est louée pour être « bien dessinée ». La capacité à représenter la chair de manière à ce qu’elle semble naturelle et vivante est également discutée en termes plus généraux. Analysant l’œuvre de Brymner intitulée Girl in a Blue Hat [The Trinket] (Jeune fille au chapeau bleu [La breloque]), 1916, un critique commente : « La peinture de la chair à travers la matière transparente des manches est particulièrement bien rendue. » Malgré que la femme représentée soit vêtue d’une robe contemporaine à la mode, Brymner démontre sa maîtrise du corps humain.

 

William Brymner, Prelude (Prélude), 1906, huile sur toile, 67,4 x 52,2 cm, Art Gallery of Hamilton.
William Brymner, Girl in a Blue Hat [The Trinket] (Jeune fille au chapeau bleu [La breloque]), 1916, huile sur toile, 73,8 x 56 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

L’enseignement et les écrits de Brymner témoignent de sa conviction que le dessin est fondamental dans la formation artistique. Il exige de ses étudiants une approche rigoureuse, leur demandant souvent de recommencer; en revanche, il ne s’attend pas à ce qu’ils perfectionnent un style particulier. Au contraire, il souligne qu’apprendre à dessiner n’est pas apprendre à copier, mais apprendre à voir. Brymner décrit le dessin comme « le fondement de tous les arts graphiques et plastiques, [soulignant que] l’objet premier d’une formation artistique est d’apprendre aux gens à observer la nature intelligemment, [et que] l’esprit peut être plus facilement formé à observer la nature avec exactitude par l’étude du modèle nu que par tout autre moyen. » Pour Brymner, le dessin est en fin de compte un exercice intellectuel, et le processus est au moins aussi important que l’œuvre elle-même.

 

 

L’aquarelle

William Brymner, Île-aux-Coudres, v.1900, aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin, 36,5 x 48,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
William Brymner, Young Girl Shading Her Eyes (Jeune fille faisant de l’ombre sur ses yeux), 1897, aquarelle sur traces de graphite, 28,5 x 22,4 cm, Musée des beaux-arts de Montréal. L’inscription se lit comme suit : « To my friend Jame (sic) Morrice / W. Brymner / Montreal, 29th April 1897. » (À mon ami Jame (sic) Morrice / W. Brymner / Montréal, 29 avril 1897).

Aujourd’hui, les œuvres les plus célèbres de Brymner sont des huiles, mais, au sommet de sa carrière, il est grandement admiré pour sa capacité à travailler à l’aquarelle. Comparée à la peinture à l’huile, l’aquarelle est très pratique et facile à utiliser en voyage car elle peut être préparée et sèche rapidement. Alors qu’il est étudiant en art en tournée en Belgique au cours de l’été 1879, Brymner laisse tomber l’huile pour l’aquarelle, plus facile à transporter lors de déplacements à pied. C’est le premier de nombreux voyages au cours desquels il utilisera l’aquarelle. Île-aux-Coudres, v.1900, par exemple, est un dessin au graphite peint à l’aquarelle, qui a probablement été réalisé lors d’un voyage estival en bateau au Québec.

 

La commodité de l’aquarelle en fait un outil idéal pour les travaux informels. Brymner l’utilise donc pour les croquis préparatoires à ses peintures à l’huile, pour ses contributions aux ateliers de création organisés par le Pen and Pencil Club et même, à l’occasion, pour la décoration d’un menu. Il dédicace parfois des aquarelles et les donne en cadeau à ses amis; par exemple, une petite toile représentant une jeune fille, réalisée en 1897, qu’il offre à James Wilson Morrice (1865-1924).

 

Bien que l’aquarelle soit très pratique pour créer des esquisses, Brymner produit également des peintures à l’aquarelle plus formelles qu’il expose régulièrement dès le milieu des années 1890. Il soumet des aquarelles aux expositions annuelles de la Art Association of Montreal (AAM) et de l’Académie royale des arts du Canada (ARC), et, en 1894 et 1896, il tient une exposition solo spécifiquement consacrée à l’aquarelle. Le choix d’exposer ces tableaux laisse supposer que l’artiste utilise stratégiquement ce moyen d’expression comme source potentielle de ventes. À l’exception d’œuvres particulièrement imposantes comme The Grey Girl (La jeune fille sombre), 1897, les aquarelles de Brymner sont souvent vendues à un prix considérablement inférieur à celui de ses peintures à l’huile. Elles occupent par conséquent une position distincte, plus abordable, sur le marché de l’art, ce qui les rend plus faciles à vendre. Étant donné ses perpétuels soucis financiers, Brymner espère sans doute que la vente de ses aquarelles renfloue ses coffres.

 

William Brymner, Waterfall (Cascade), 1898, aquarelle sur papier, 38,1 x 55,9 cm, Collection de Kristen Larsen, Calgary.

 

Brymner consacre énormément de temps à cette pratique. Dans une lettre à Clarence Gagnon (1881-1942) en 1908, il écrit avoir passé presque tout l’été à travailler à l’aquarelle. Sa maîtrise lui vaut de nombreux éloges de la critique, qui applaudit ses pièces d’exposition et qui souligne la façon dont il exploite la délicatesse de la peinture pour créer des images saisissantes. En 1898, Brymner présente deux douzaines d’aquarelles dans le cadre d’une exposition de Noël à la AAM, parmi lesquelles figurent probablement The Black Schooner (La goélette noire) et Waterfall (Cascade), toutes deux de 1898. Dans sa critique de l’exposition, le quotidien Montreal Gazette affirme que l’art de Brymner « a quelque chose de plus que le niveau moyen de vitalité [et que] son travail impressionne par la simplicité du sujet, à partir duquel il peut créer une image excellente en termes de ton, de composition et de couleur, et en même temps intéressante par l’émotion générale qu’elle communique. »

 

Au début des années 1900, l’aquarelle fait partie intégrante de la réputation de Brymner. En 1903, un critique du Montreal Witness déclare : « Nous avons un véritable aquarelliste parmi nous en la personne de William Brymner. Il […] vous montre l’aquarelle pour ce qu’elle est, dans toute sa délicatesse et sa pureté […] Hormis son talent de dessinateur, nous considérons que [l’aquarelle] est son point fort. » Certains critiques affirment même qu’il est plus doué pour l’aquarelle que pour l’huile. Selon Harriet Ford, l’aquarelle semble « convenir aux capacités de M. Brymner, et [elle] l’oblige à la retenue et à la délicatesse qui lui manquent dans le maniement d’un moyen d’expression plus vigoureux. » Pour Brymner, l’aquarelle est devenue une technique gagnante.

 

William Brymner, Fieldhands (Ouvriers agricoles), 1905, aquarelle sur papier, 22,9 x 30,5 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

 

 

Le travail en plein air

À l’époque où Brymner étudie en Europe, à la fin des années 1870 et dans les années 1880, le travail en plein air est de plus en plus populaire parmi les artistes européens. Bien que les impressionnistes soient les artistes les plus célèbres à pratiquer ce qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de peinture en plein air, les artistes associés à l’école de Barbizon, dont le plus célèbre est sans doute Théodore Rousseau (1812-1867), s’y sont également adonnés. Pour Brymner, cependant, l’expression en plein air a une signification plus profonde que le simple fait de peindre dehors et suppose « qu’au lieu de peindre une figure dans la maison avec la lumière de l’atelier lorsque vous souhaitez la montrer comme faisant quelque chose à l’extérieur, vous devriez peindre la figure telle qu’elle apparaîtrait en plein air. » Brymner attribue cette pratique à Édouard Manet (1832-1883), tout en reconnaissant en avoir eu connaissance avant de découvrir ses œuvres lors de l’exposition commémorative que lui a consacré l’École des beaux-arts en 1884. Le principe exige que les œuvres à figures tout comme les paysages soient peints en plein air, ce qui est primordial pour Brymner.

 

Édouard Manet, La famille Monet au jardin, 1874, huile sur toile, 61 x 99,7 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.
William Brymner, Near Louisbourg, Cape Breton, N.S. (Près de Louisbourg, Cap Breton, Nouvelle-Écosse), v.1909, huile sur bois, 11,9 x 18 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Jeune homme, William Brymner est très critique envers les artistes qui travaillent à partir de photographies. Toute sa vie, il croit que pour dépeindre le monde naturel, il doit l’observer directement. Lorsqu’il réalise son plus célèbre tableau de plein air, Border of the Forest of Fontainebleau (Au bord de la forêt de Fontainebleau), 1885, Brymner travaille dehors sous un parapluie pendant plus d’une semaine. Nombre de ses petites esquisses à l’huile et de ses aquarelles ont sans doute été peintes sur le motif également. La peinture en plein air est peut-être le moyen le plus efficace de se rapprocher de la nature, et pour Brymner, rien n’est plus important.

 

L’artiste a souvent été confronté à des défis pratiques importants pour peindre à l’extérieur. Ainsi, lors de sa visite dans le Yorkshire en 1884, il se plaint : « Le vent souffle encore très fort et empêche tout travail à l’extérieur à cause de la poussière et du sable qui se retrouvent sur la toile et la palette! » Et, en 1892, faisant état de son travail dans les montagnes Rocheuses, il note : « Inutile de vous dire quel mauvais été nous avons eu avec la pluie et les moustiques. » Les moustiques, aussi ennuyeux puissent-ils être, n’empêchent pas les artistes de voir le sujet qu’ils sont venus peindre dans l’Ouest canadien comme le font carrément la pluie et les nuages. Brymner rencontre des problèmes similaires ailleurs au Canada. Dans une lettre à Clarence Gagnon au sujet de sa visite à l’Île d’Orléans en 1904, il déclare : « Je crois qu’il neige sur les collines d’en face. J’essaie de finir les choses et je ne peux pas, car depuis six semaines, nous avons eu trois jours de pluie pour un jour de beau temps. »

 

William Brymner, Mount Baker (Le mont Baker), 1892, huile sur panneau, 15,3 x 22,8 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.

Cette myriade de soucis pratiques amène Brymner à développer une approche hybride pour rendre la nature. Il devient plus stratégique et recourt au croquis pour compléter ensuite les œuvres en atelier. Lors de sa visite dans les Rocheuses en 1892, il prépare des dessins et réalise des études de terrain — Mount Baker (Le mont Baker), 1892, en est sans doute un exemple — et il prévoit même se servir de photographies dans son atelier, un aspect de sa pratique qui mérite des recherches plus approfondies. Dans sa lettre à Gagnon, il conclut : « Je pense qu’il faut faire sans cesse des études à l’extérieur, mais je crois que le tableau doit être peint à l’intérieur. » Il est très conscient des difficultés posées par la météo changeante, notant que si l’on travaille à l’extérieur, « il faut continuer à changer et à modifier l’effet — sauf dans un pays de soleil éternel. Delacroix, Millet, Turner ne le font presque jamais […] En tout cas, je défie quiconque d’avoir peint un tableau de quelque taille que ce soit dehors cet été. » Brymner a déjà été confronté aux défis posés par la météo changeante des décennies plus tôt, lorsqu’il achevait A Wreath of Flowers (Une gerbe de fleurs), 1884, mais, une fois devenu un artiste mature et établi, avec des engagements professionnels importants, il n’est plus prêt à se soumettre aux caprices de la météo.

 

L’approche de Brymner pour rendre la lumière, les couleurs et les formes varie considérablement d’un paysage à l’autre, mais il suit avec constance son principe fondamental d’étude de la nature tout au long de sa carrière, ce qui suscite l’admiration. Dans un article sur l’art du paysage canadien, Eric Brown déclare : « Son œuvre est sincère et minutieuse : il ne cherche pas la nouveauté ou une nouvelle couleur, mais les simples vérités de l’expression changeante de la nature sont rendues avec un sérieux constant et sobre qui reste là où beaucoup de brillance superficielle s’estompe. » Le tableau de Brymner intitulé Early Moonrise in September (Lever de lune en septembre), 1899, l’illustre bien : entrepris lors d’un voyage à la campagne, ce tableau reflète l’engagement durable de l’artiste à peindre la nature selon ses propres modalités.

 

William Brymner, The Ravine in Summer (Le ravin en été), v.1900, huile sur toile de lin, 40,6 x 63,5 cm, Musée des beaux-arts de l’Alberta, Edmonton.

 

 

L’impressionnisme et le modernisme

Bien que témoin de certains des développements les plus radicaux de l’art occidental, Brymner n’embrasse pleinement aucun style particulier. En tant qu’artiste mature, il s’intéresse à l’impressionnisme, un mouvement célèbre grâce à des artistes tels que Claude Monet (1840-1926) et Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) et qui se caractérise par une exploration révolutionnaire de la couleur dans la capture des impressions de la lumière et des formes, ainsi que par la représentation de la vie moderne. Malgré que Brymner rejette l’adhésion stricte à un style, la manière impressionniste imprègne certaines de ses œuvres ultérieures. Dans In the Orchard [Spring] (Au verger [printemps]), 1892, par exemple, il conjugue une approche académique modifiée, pour le traitement des personnages, avec une approche de la nature plus près de celle des impressionnistes : il peint les figures humaines avec soin, mais les fleurs des arbres sont exprimées simplement par des touches de rose pâle et de blanc. Cette individualité d’expression est en accord avec sa vision de l’enseignement : il encourage ses étudiants à expérimenter et à explorer.

 

William Brymner, In the Orchard [Spring] (Au verger [printemps]), 1892, huile sur carton fort, 40,2 x 30,6 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

L’intérêt de Brymner pour les mouvements artistiques de son époque est évident dans ses conférences sur l’art. Celles-ci portent principalement sur l’impressionnisme, d’abord en mars 1896, pour la Women’s Art Association of Canada au YMCA de Montréal, puis en avril 1897, pour la Art Association of Montreal (AAM). Elles lui assurent une place dans l’histoire de l’impressionnisme au Canada, bien que ni ses écrits ni ses œuvres n’embrassent ce style sans réserve. Brymner ne considère pas l’impressionnisme comme une dérive importante, mais plutôt comme une nouvelle approche permettant de revitaliser l’art. Observant que les célèbres artistes impressionnistes Edgar Degas (1834-1917) et Claude Monet sont en fait « entièrement différents », il conclut que « le premier et principal principe commun à tous est un amour et un respect intenses de la nature et une détermination à rendre la composition exactement telle qu’ils la voient eux-mêmes. » Brymner croit en ce principe fondamental, et, tout en explorant les façons d’exprimer ce qu’il voit, il est ouvert aux solutions proposées par les impressionnistes.

 

William Brymner, Girl with a Dog, Lower Saint Lawrence (Fillette avec son chien, Bas-Saint-Laurent), 1905, huile sur toile, 48,5 x 60,5 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.

À la fin de sa carrière, Brymner continue d’expérimenter la forme et la couleur dans ses peintures, d’une manière que l’on pourrait qualifier d’impressionniste. Dans des œuvres telles que Girl with a Dog, Lower Saint Lawrence (Fillette avec son chien, Bas-Saint-Laurent), 1905, par exemple, Brymner présente une figure reproduite avec beaucoup de minutie, mais son traitement de la matière est plus audacieux; des coups de pinceau grossiers captent le jeu de lumière sur les vêtements de la jeune fille ainsi que l’horizon lointain — une caractéristique typique de l’impressionnisme. Comme les peintres qui y sont associés, Brymner est alors tout à fait prêt à travailler avec des couleurs vives. Lorsqu’il expose Summer (Été) en 1910, il est encensé pour « le vert brillant de l’été canadien, rendu avec un pigment riche et luxuriant. » October, River Beaudet (Octobre sur la rivière Beaudet), 1914, est une œuvre plus discrète, mais les silhouettes remarquables des arbres suggèrent que l’artiste cherche peut-être à expérimenter l’aplanissement du paysage, une approche de l’espace manifeste dans de nombreuses œuvres impressionnistes, notamment la série des Meules et la série des Peupliers, toutes deux de Monet, et dont sa composition Les quatre arbres, 1891, est un bon exemple.

 

Brymner se montre critique des postimpressionnistes (du moins des Européens), une génération d’artistes qui créent des œuvres radicalement différentes en tirant partie des expérimentations des impressionnistes avec la couleur et la forme. Bien qu’il pense que Paul Cézanne (1839-1906), Vincent van Gogh (1853-1890) et Paul Gauguin (1848-1903) y excellent, il estime que leurs disciples répudient « toute imitation de la nature » et ne produisent que de la « camelote ». Brymner critique Henri Matisse (1869-1954), par exemple, parce qu’il trouve que ce dernier dessine « aussi bien que n’importe qui, mais pour être à la hauteur de son credo, il doit dessiner des choses sans commune mesure et faire semblant d’être simple. » Le point de vue de Brymner est ici conforme à sa propre pratique : son engagement dans l’étude de la nature est indéfectible, sa vie durant.

 

Randolph Stanley Hewton, Après-Midi Camaret, v.1913, huile sur toile, 71,5 x 59,2 cm, Collection McMichael d’art canadien, Kleinburg.

Pourtant, lorsque des artistes canadiens exposent des œuvres inspirées par les postimpressionnistes et sont étiquetés comme tels, Brymner les soutient. En 1913, l’exposition de la AAM comporte des œuvres des artistes Randolph Hewton (1888-1960), John Lyman (1886-1967) et A. Y. Jackson (1882-1974) qui font l’objet de vives critiques de la part de la presse et d’autres artistes. Des œuvres, notamment Assisi from the Plain (Assise vue de la plaine) 1912, de Jackson, sont considérées comme très radicales. Selon une critique du Montreal Witness, « les disciples des postimpressionnistes [ont] envahi [l’exposition, utilisant] l’immensité de la toile, des couleurs criardes et discordantes, et un dessin exécrable […] pour heurter l’œil du public. » Brymner défend les artistes devant ses collègues et dans la presse, déclarant que Hewton et Jackson (qu’il a connus comme étudiants) sont « des hommes extrêmement prometteurs [et] bien que je ne me soucie pas personnellement de certaines images, je reconnais qu’elles représentent une phase du travail moderne qui devrait intéresser le public. » Anne Savage (1896-1971) rappelle que lors d’une visite à l’exposition de la AAM, Brymner s’est arrêté à côté de quelques personnes réunies autour de l’œuvre de Lyman. « Il a regardé le groupe et a affirmé avec impétuosité : “Eh bien, si un homme veut peindre une femme avec des cheveux verts et des yeux rouges, il peut très bien le faire.” Puis il est sorti précipitamment. » Cette anecdote illustre son profond engagement envers le besoin d’expérimentation artistique, ainsi qu’un sentiment de loyauté constant envers ses étudiants, ses collègues et ses pairs.

 

Finalement, dans ses propres œuvres, Brymner choisit de s’inspirer de l’impressionnisme et d’autres approches modernes sans vraiment adhérer complètement à ces styles. En passant en revue l’une des expositions commémoratives de Brymner, le Montreal Daily Star observe « qu’il est presque difficile, à première vue, de saisir le fait qu’elles sont toutes l’œuvre d’un seul homme. » Notant que la pratique artistique de Brymner a longtemps été liée à l’enseignement (et interrompue par celui-ci), le Montreal Daily Star conclut qu’à chaque nouvelle œuvre, le peintre commence « non seulement avec des objectifs différents, mais parfois même avec de nouvelles méthodes techniques, mais dans tous les cas, il obtient quelque chose qui en vaut la peine. »

 

L’enthousiasme de Brymner pour les nombreuses expériences créatives fait de son travail une œuvre diverse, mais aussi très individuelle, une qualité que l’artiste apprécie profondément. L’engagement envers l’innovation personnelle est peut-être la leçon la plus convaincante que Brymner ait donnée à ses étudiants. En équilibrant ouverture d’esprit et engagement à atteindre ses objectifs, il a non seulement développé sa propre peinture, mais il a aussi gagné la confiance de ses étudiants, les encourageant fortement à orienter leurs propres œuvres et, par extension, l’art canadien dans de nouvelles directions.

 

William Brymner, Summer Landscape (Paysage d’été), 1910, huile sur toile, 74,3 x 102,6 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.

 

 

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