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À titre d’artiste, de conservateur et d’éducateur, Robert Houle a un impact profond sur l’art canadien et autochtone. Depuis quatre décennies, il réconcilie et synthétise les tendances de l’art contemporain et les traditions anishnabes en encourageant une vision renouvelée du monde qui inclut la mémoire culturelle; en exposant et en interpellant le gouvernement sur les questions politiques touchant les peuples autochtones, dont les droits territoriaux et les droits de l’art et des artistes autochtones; et en décolonisant le musée et le moi.

 

 

La terre

L’importance de la terre, son caractère sacré et son histoire, est un fil conducteur de l’œuvre de Houle. La plupart de ses créations mettent l’accent sur le fait que la terre est l’élément clé pour comprendre son histoire et son cheminement futur, et pour façonner son identité anishnabe. Pour Houle, la perte de terres ancestrales a été la cause d’une grave crise d’identité pour des générations de Premières Nations. Son propre lien avec une géographie particulière est évident dans Muhnedobe uhyahyuk [Where the gods are present] (Muhnedobe uhyahyuk [Là où les dieux sont présents]), 1989, dans laquelle il renouvelle sa relation avec le paysage des Prairies et le reconquiert pour son peuple à Sandy Bay, au Manitoba.

 

Robert Houle, Titre aborigène, 1989-1990
Robert Houle, Aboriginal Title (Titre aborigène), 1989-1990, huile sur toile, 228 x 167,6 cm, Galerie d’art de Hamilton.
Robert Houle, Muhnedobe uhyahyuk [Là où les dieux sont présents] (Thomas), 1989
Robert Houle, Muhnedobe uhyahyuk [Where the gods are present] (Muhnedobe uhyahyuk [Là où les dieux sont présents]) (Thomas), 1989, huile sur toile, l’un de quatre tableaux de 244 x 182,4 x 5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Le legs de la colonisation européenne a rendu les peuples des Premières Nations étrangers sur leurs propres territoires. Houle croit que les lieux « peuvent être construits socialement et politiquement, et que cette construction est une question de pouvoir ». Son travail met souvent l’accent sur les questions politiques liées à la terre, affirmant visuellement le lien historique et juridique des Premières Nations avec la terre, comme dans Premises for Self-Rule (Prémisses de l’autonomie), 1994. Aboriginal Title (Titre aborigène), 1989-1990, en est un autre exemple. Cette œuvre présente quatre dates cruciales marquant des années d’adoption de lois qui ont servi de précédents juridiques pour les droits et libertés des Premières Nations en ce qui concerne les terres : 1763, 1867, 1876 et 1982.

 

À la fin des années 1980 et dans les années 1990, des événements politiques partout au Canada ont galvanisé la solidarité autochtone et suscité un activisme qui a résonné tout au long de ces décennies. C’était une période chargée, où les Premières Nations ont articulé des positions claires concernant les revendications territoriales, les droits de la personne, l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale, dont le vote contre l’accord du lac Meech par Elijah Harper, un membre cri de l’Assemblée législative du Manitoba.

 

La tension est exacerbée par des controverses qui secouent le monde des musées. Ainsi, dans le cadre d’un conflit territorial, la nation du lac Lubicon boycotte l’exposition The Spirit Sings : Artistic Traditions of Canada’s First Peoples (L’Esprit chante : traditions artistiques des premiers peuples du Canada) organisée par le Glenbow Museum, à Calgary, à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de 1988. L’exposition comporte des objets historiques autochtones qui ont été retirés de leurs communautés sans permission et prêtés au Glenbow en provenance de collections ethnographiques et anthropologiques nationales et internationales. Au même moment, des artistes autochtones de partout au Canada dénoncent l’exclusion constante de leur art de la majorité des grandes institutions artistiques. Les boycotts, les manifestations, les tempêtes médiatiques et l’art de protestation ont eu un impact profond sur le contenu et les contextes de l’œuvre de Houle.

 

Lors de sa première exposition solo à Montréal en 1992, chez Articule, Houle crée une importante installation multimédia, Hochelaga, qui témoigne de ses engagements esthétiques et sociaux et de la reconquête des terres. L’exposition d’une durée d’un mois confronte le public à des travaux qui remettent en question le concept occidental/européen de possession de la terre et qui mettent en lumière la lutte des Premières Nations pour l’indépendance et faisant la promotion de leur souveraineté. Ainsi, le titre, par exemple, utilise des images et du texte pour aborder l’autonomie des Premières Nations d’un point de vue local. Des lettres en vinyle jaune sur une surface blanche épellent les noms des communautés iroquoiennes d’hier et d’aujourd’hui, comme les localités mohawks de Kanesatake, Kahnawake et Akwesasne, qui ont été au centre de conflits de souveraineté avec les gouvernements municipal, provincial et fédéral. En associant ces communautés à Hochelaga, l’ancienne colonie Haudenosaunee qui était située sur l’île de Montréal, Houle les relie à une longue histoire associée à la terre et soutient leur droit à l’indépendance.

 

Robert Houle, Kanehsatake X, 2000
Robert Houle, Kanehsatake X, 2000, huile sur toile, épreuve photographique numérique, lettre en acier ionisé, 244 x 503 cm, collection privée.

Plusieurs des œuvres de Houle entre 1990 et 2000 sont des réponses politiques aux conflits territoriaux contemporains entre les Premières Nations et le gouvernement canadien, reflétant ce qu’il déclare et peint avec le plus d’éloquence depuis des années : que l’histoire a été un processus continu de limitation du pouvoir et de la terre pour son peuple. Kanehsatake X, 2000, et Ipperwash, 2000-2001, sont deux œuvres qui répondent à la crise d’Oka — lorsque les Mohawks protestent contre l’empiètement d’un terrain de golf sur leur territoire traditionnel et leur lieu de sépulture au Québec — et aux événements d’Ipperwash, en Ontario — un conflit territorial au cours duquel la Police provinciale de l’Ontario a abattu un manifestant ojibwa non armé, Dudley George. Kanehsatake X et Ipperwash juxtaposent la toile, le panneau et le texte pour représenter la propriété; les deux œuvres comportent des images photographiques numérisées de pointes de flèches enfouies dans des bandes rouges et jaunes qui imitent les panneaux de signalisation urbains. Les toiles sont peintes en deux nuances de vert cobalt, l’une foncée, faisant référence au terrain de golf au centre du conflit d’Oka et aux pins qui bordent les routes. Ils sont comme des palissades et protègent les ancêtres, qui sont symbolisés par les flèches. Dans Kanehsatake X, il y a aussi un panneau bleu, une couleur émotionnelle qui, pour Houle, est liée à son ascendance et au pouvoir de l’eau.

 

Le travail de conservation de Houle a également mis en évidence le lien entre la terre et les peuples autochtones de l’île de la Tortue (Amérique du Nord) en tant que relation ayant une histoire ancienne. En 1992, les célébrations officielles des deux côtés de l’Atlantique marquent le 500e anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb dans les Amériques. L’esprit de célébration n’est pas partagé par les peuples autochtones qui ont réagi contre cinq siècles d’oppression et d’exclusion. Au cours de cette année-là, Houle est co-commissaire de Land, Spirit, Power: First Nations at the National Gallery of Canada (Terre, esprit, pouvoir : les Premières Nations au Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa. Alors qu’une exposition simultanée de la Société des artistes canadiens d’origine autochtone (SACOA) et du Musée canadien de l’histoire à Gatineau, intitulée Indigena : Perspectives of Indigenous Peoples on Five Hundred Years (Indigena : perspectives des peuples autochtones sur cinq cents ans), met l’accent sur une critique de l’histoire coloniale, Land, Spirit, Power met l’accent sur la terre comme héritage spirituel et politique.

 

Faye HeavyShield, Sans titre, 1992
Vue de l’installation de Faye HeavyShield Untitled (Sans titre), 1992, bois, ciment, acrylique: 190,5 cm de diamètre lorsqu’en place; éléments : 244,5 x 13,5 cm de diamètre chacun, lors de l’exposition Land, Spirit, Power (Terre, esprit, pouvoir), Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, photographie prise par Louis Joncas.

 

Les recherches de Houle pour l’exposition l’amènent à se concentrer sur la terre, un sujet cohérent dans sa production artistique, mais qu’il abordé dans son travail de conservateur pour la première fois ici. Il s’entretient avec des artistes autochtones aux États-Unis et au Canada, dont Rebecca Belmore (née en 1960), James Luna (1950-2018), Kay WalkingStick (née en 1935) et d’autres. Dans l’article « Sovereignty over Subjectivity », il décrit son expérience : « En sillonnant ce vaste continent, une chose est devenue évidente : l’impact persistant et la physicalité toujours changeante du paysage. Et quel que soit l’endroit où ils vivaient, ces artistes entretenaient une relation commune à l’espace environnant et à la sanctification du territoire ». Dans son essai pour le catalogue « The Spiritual Legacy of the Ancient Ones », Houle reconnaît le lien des artistes avec l’antiquité, donnant un contexte à l’héritage qui leur a été laissé; il affirme une conviction inébranlable sur le droit inhérent des Premières Nations à la terre appréciée et respectée de leurs ancêtres.

 

Nouveau regard sur la représentation

Par son travail de conservateur et ses projets artistiques, Houle remet en question les notions colonialistes qui considèrent l’art autochtone comme un art primitif et une extension des collections ethnologiques. L’historienne de l’art et conservatrice Ruth B. Phillips note que l’indigénisation des musées canadiens a été façonnée par deux événements consécutifs. Tout d’abord, le pavillon des Indiens du Canada à l’Expo 67 à Montréal a critiqué les récits conventionnels sur les relations colons-autochtones qui positionnent le colonisateur comme un être civilisé et les peuples autochtones comme une race en voie de disparition ou ayant besoin d’être assimilée. Deuxièmement, en raison de la protestation généralisée des dirigeants et des communautés autochtones — protestation à laquelle Houle a participé — le gouvernement du Canada est forcé de retirer son Livre blanc de 1969 (« La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969 »), qui visait à rendre tous les peuples du Canada hétérogènes et qui aurait des répercussions sur les droits culturels et territoriaux des Premières Nations.

 

Une murale de Norval Morrisseau pour le pavillon des Indiens du Canada à l’Expo 67, 1967
Une murale de Norval Morrisseau pour le pavillon des Indiens du Canada à l’Expo 67, 1967. Les représentants du gouvernement ont jugé trop controversée la conception de Morrisseau, qui figurait l’allaitement d’oursons provenant de la Terre-Mère, et Morrisseau a quitté le projet.
Pavillon des Indiens du Canada à l’Expo 67, 1967
Vue du pavillon des Indiens du Canada à l’Expo 67, 1967. Ces peintures murales ont été peintes par Francis Kagige. Le totem Kwakiutl a été sculpté par Tony et Henry Hunt. À l’intérieur du pavillon, des documents, des dessins, des œuvres d’art et des photographies d’archives et contemporaines présentaient les conditions déplorables de la colonisation, accompagnées de commentaires attirant l’attention sur son impact sur les peuples des Premières Nations.

 

La démission de Houle du Musée national de l’Homme à Hull (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire à Gatineau) a contribué à obliger les musées et les galeries d’art publiques à modifier leurs pratiques de collection et d’exposition pour y inclure les voix autochtones. L’exposition Land, Spirit, Power, 1992, par exemple, bien que n’excluant pas le politique, concerne avant tout l’art. Elle révèle les deux impératifs auxquels les artistes autochtones contemporains réagissent : la demande d’un moment de l’histoire pour une intervention culturelle et politique et l’exigence d’une acceptation sérieuse de la valeur esthétique de l’art autochtone contemporain. Le Musée des beaux-arts du Canada s’y rallie et commence à intégrer l’acquisition d’œuvres d’artistes autochtones dans la collection permanente aux côtés d’autres artistes contemporains canadiens et internationaux.

 

Robert Houle, Étude pour Kanata [peinture d’après le tableau de Benjamin West La mort du général Wolfe, 1770], 1991-1992
Robert Houle, Working study for Kanata [painting based on Benjamin West’s painting Death of Wolfe, 1770] (Étude pour Kanata [peinture d’après le tableau de Benjamin West La mort du général Wolfe, 1770]), 1991-1992, encre de sérigraphie sur feuille de plastique transparent, d’un bout à l’autre : 21,8 x 28,1 cm; image : 41,9 x 47 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Robert Houle, Kanata (détail), 1992
Robert Houle, Kanata (détail), 1992, acrylique et crayon Conté sur toile, 228,7 x 732 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. 

De plus, Houle s’engage depuis longtemps à rapatrier les objets historiques des musées ethnographiques et à corriger les présentations inappropriées de ces objets. Par son art visuel, Houle amplifie cette entreprise lors d’une exposition en 1993 à la Galerie d’art de l’Université Carleton, à Ottawa, intitulée Kanata : Robert Houle’s Histories (Kanata : récits historiques de Robert Houle). Au Musée des beaux-arts du Canada en 1992, Houle tombe sur un espace d’interprétation près de l’installation The Death of General Wolfe (La mort du général Wolfe), 1770, de Benjamin West (1738-1820). Il découvre que le musée a emprunté au British Museum des objets sacrés autochtones qui ont servi d’accessoires d’atelier à West pour sa peinture de fiction. Dans son exposition à l’Université Carleton, Houle parodie le traitement du Musée avec deux œuvres : Contact/Content/Context (Contact/Contenu/Contexte), 1992, qui montre ses propres mocassins dans une boîte en plexiglas qu’il place près de Kanata, 1992, une peinture qui commente la représentation incorrecte d’un guerrier delaware pieds nus. L’installation de Houle remet en question la représentation de l’histoire autochtone du musée en imitant sa construction tout en utilisant sa propre langue et ses objets personnels. Il formule ainsi une histoire différente — une histoire qui ébranle une perspective occidentale limitée par les préjugés égoïstes du colonialisme.

 

Le travail politiquement chargé de Houle inspire une nouvelle génération travaillant en performance, en vidéo, en nouveaux médias et en photographie. Bill Reid (1920-1998), ami et collègue de Houle, a revitalisé l’art haïda traditionnel et a servi de mentor à Robert Davidson (né en 1946). Shelley Niro (née en 1954), Greg Staats (né en 1963) et Jeff Thomas (né en 1956) se sont penchés sur les questions relatives à l’identité autochtone à travers leurs œuvres. De plus, Houle a posé les bases utilisées par les conservateurs — dont Greg Hill (né en 1967), Gerald McMaster (né en 1953) et Wanda Nanibush (née en 1976) — pour revoir les stratégies de collection et positionner l’art autochtone dans la pratique de l’art contemporain.

 

 

Appropriation culturelle

L’œuvre de Robert Houle a approfondi la compréhension de l’appropriation culturelle par les musées et les galeries d’art, ainsi que par un large éventail d’institutions et de disciplines (par exemple, la publicité) qui continuent de perpétuer de fausses notions sur les cultures occidentales et autochtones. L’appropriation culturelle se réfère à une dynamique de pouvoir dans laquelle les membres d’une culture dominante prennent des éléments de la culture d’un peuple qui a été systématiquement opprimé. Pour Houle, l’appropriation culturelle concerne le fait que la culture occidentale efface et ignore les voix autochtones en déformant leurs cultures. Parallèlement à toute une histoire de projections culturelles incorrectes dans les peintures, les photographies et les récits écrits des Européens en Amérique du Nord, il y a un manque de représentation des Premières Nations dans la culture contemporaine. Il écrit : « L’exclusion de la représentation occidentale est profondément enracinée et même protégée par une structure qui autorise et légitime certaines représentations tout en en bloquant, interdisant ou invalidant d’autres ».

 

Robert Houle, Anishnabe Walker Court, 1993
Robert Houle, Anishnabe Walker Court, 1993, installation in situ à Walker Court, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

En 1985, Houle découvre une installation de l’artiste allemand Lothar Baumgarten (né en 1944) au Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto, et porte la question de l’appropriation culturelle à l’attention du public. À l’invitation du musée, Baumgarten réalise une œuvre spécifique pour Walker Court, dans le cadre de l’exposition The European Iceberg : Creativity in Germany and Italy Today (L’iceberg européen : la créativité en Allemagne et en Italie aujourd’hui), intitulée Monument for the Native People of Ontario (Monument pour les Premières Nations de l’Ontario), 1984-1985, et destinée à rendre hommage à huit nations de la province, dont les noms sont imprimés en gros caractères romains sur les murs entourant la cour au centre du musée. Houle est ébranlé par le manque de recherche pour documenter les noms. Certains sont mal orthographiés, et les groupes linguistiques, les régions, les tribus et les bandes sont mélangés sans distinction. L’appropriation par Baumgarten du droit de documenter les noms est également troublante. À propos de l’installation, Houle écrit : « C’est une belle œuvre, conçue comme un hommage, mais le drame humain qu’elle présente n’est malheureusement qu’un programme d’anthropologie romantique du vingtième siècle… une transgression de l’intégrité spirituelle de ceux dont il a écrit les noms qui commande de signaler que leur tradition orale a été violée ».

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Lorsque Houle répond à l’installation de Baumgarten avec Anishnabe Walker Court, 1993, il se réapproprie les noms tribaux de l’artiste allemand, en les mettant entre guillemets et en les inscrivant en minuscules sur le mur extérieur entourant Walker Court. On y trouve également de la documentation photographique sur les changements apportés à Walker Court au fil des ans, des commentaires sur l’histoire du changement et de la mémoire et sur la façon dont les musées, en tant qu’institutions coloniales, sont sujets à une mauvaise commémoration, comme dans le cas de l’installation de Baumgarten qui affiche incorrectement des images du passé et des icônes de la culture autochtone de l’Ontario.

 

Robert Houle, Ojibwa, étude préliminaire pour Anishnabe Walker Court #8, 1994
Robert Houle, Ojibwa, from Anishnabe Walker Court preliminary study #8 (Ojibwa, étude préliminaire pour Anishnabe Walker Court #8), 1994, collage, impressions électrographiques sur papier vélin, 43,5 x 35,5 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Robert Houle, Étude #10 [pour Anishnabe Walker Court], 1994
Robert Houle, Study #10 [for Anishnabe Walker Court] (Étude #10 [pour Anishnabe Walker Court]), 1994, épreuve à la gélatine argentique, photocopie, encre sur feuille de plastique colorée, lettres autocollantes en vinyle, marqueur de point poreux noir, graphite sur papier, papier photographique revêtu de résine et feuille transparente colorée, 43,2 x 35,7 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

Houle choisit fréquemment des mots qu’il repère dans des documents d’archives, des instruments de guerre ou des biens de consommation pour souligner comment l’imagerie des cultures autochtones est exploitée à des fins commerciales ou militaires. Au milieu des années 1990, Houle a commencé à faire des recherches sur la marchandisation des noms de chefs et de tribus célèbres. Ainsi, These Apaches Are Not Helicopters (Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères), 1999, examine l’appropriation des noms autochtones en tant que marchandises et emblèmes de guerre. Cette œuvre in situ, installée en quatre fenêtres en demi-lune à la gare ferroviaire VIA Rail de Winnipeg, représente un retour à la maison imaginaire du chef Geronimo (1829-1909) et de ses guerriers apaches. Geronimo est célèbre pour avoir résisté à la colonisation et pris position contre le gouvernement américain pendant près de vingt-cinq ans. Houle a stratégiquement placé une photographie d’archives agrandie de Geronimo sur la fenêtre sud de la station, représentant ainsi la direction traditionnelle de l’arrivée des Apaches. La dernière image, sur la fenêtre, est celle de l’hélicoptère McDonnell Douglas Apache.

 

De même, l’héritage de Pontiac (1720-1769), un important chef guerrier et diplomate odawa qui a travaillé pour unir les nations algonquiennes de la région des Grands Lacs avec celles des vallées de l’Ohio et du Mississippi, apparaît dans le travail de Houle qui, par ses interventions, tente de restaurer son identité. Le chef Pontiac est un symbole de force et a été assassiné pour des gains financiers; des siècles après sa mort, General Motors a nommé une voiture en l’honneur du héros légendaire. Houle voit cela comme une suprématie capitaliste blanche qui s’approprie le pouvoir associé au chef. Le travail de Houle Kekabishcoon Peenish Chipedahbung / I Will Stand… (Kekabishcoon Peenish Chipedahbung / Je me tiendrai debout…), 1997, s’inspire de l’histoire, de l’image et de la promesse d’endurance de Pontiac. Houle a assemblé des reproductions de trente-six publicités du vingtième siècle pour diverses automobiles sur lesquelles il a superposé des lettres en vinyle qui épellent « Pontiac » et les noms des nations algonquiennes, reconquérant ainsi l’histoire et le patrimoine autochtone.

 

Robert Houle, Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères (détail), 1999
Robert Houle, These Apaches Are Not Helicopters (Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères) (détail), 1999, quatre agrandissements de photos, installation in situ de la station de train VIA à Winnipeg.
Robert Houle, Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères (détail), 1999
Robert Houle, These Apaches Are Not Helicopters (Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères) (détail), 1999, quatre agrandissements de photos, installation in situ de la station de train VIA à Winnipeg.

 

 

Décolonisation

Les intentions de Houle se concentrent sur le fait de forcer les spectateurs à reconsidérer le passé colonial. Son processus artistique dénonçant le legs du colonialisme, notamment son séjour au pensionnat, amalgame diverses formes de souvenirs personnels et collectifs par le dessin et la peinture, et intègre parfois, de façon stratégique, des approches postmodernistes.

 

Robert Houle, Série sur le Pensionnat indien de Sandy Bay [Le matin], 2009
Robert Houle, Sandy Bay Residential School Series [The Morning] (Série sur le Pensionnat indien de Sandy Bay [Le matin]), 2009, bâton d’huile sur papier, l’un de vingt-quatre dessins de 58,4 x 76,2 cm ou 76,2 x 58,4 cm chacun, School of Art Gallery, Université du Manitoba, Winnipeg.

La production de deux œuvres majeures aborde l’héritage du système des pensionnats indiens: Sandy Bay, 1998-1999, et Sandy Bay Residential School Series (Série sur le Pensionnat indien de Sandy Bay), 2009. Cette dernière rappelle les expériences sinistres vécues par l’artiste au pensionnat. En réalisant les dessins, il rend visuellement les souvenirs associés à l’expérience qui lui sont revenus à travers les rêves:

 

J’ai fait un rêve horrible, très net, à propos d’un incident qui m’était arrivé et que j’avais complètement oublié… Alors j’ai… décidé une fois pour toutes que j’allais y faire face… Après chaque dessin, je me sentais totalement épuisé émotionnellement… Mais je dormais bien et le lendemain matin, je recommençais à nouveau​​​​​​.

 

La création de l’œuvre a été une décolonisation personnelle : « Pour la première fois, j’ai commencé à me parler à moi-même en peignant. Mon corps se décoloniserait avec ma voix ».

 

Dans Kanata, 1992, Houle affirme visuellement un récit autochtone d’une histoire politique pour évoquer une autre histoire radicalement différente de celle peinte par Benjamin West dans The Death of General Wolfe (La mort du général Wolfe), 1770. Dans son œuvre, Houle « décolore » les figures européennes copiées de la peinture de West et vivifie le guerrier en couleur, inversant ainsi les rapports de force. L’œuvre est « contemporaine avec des délibérations constitutionnelles parallèles dans lesquelles la présence des Canadiens autochtones était de plus en plus grande alors qu’ils [cherchaient] le contrôle de leur destinée ». En s’appropriant la peinture de West, Houle affirme son droit de dépeindre l’expérience des Premières Nations et l’histoire coloniale révisée, positionnant les Premières Nations comme « nations fondatrices » du Canada aux côtés des Français et des Anglais.

 

Une œuvre récente de Houle, O-ween du muh waun [We Were Told] (O-ween du muh waun [On nous a dit]), 2017, remet en question la longue histoire des présomptions coloniales sur la place des peuples autochtones au sein de la Confédération. Commandée par la Confederation Centre Art Gallery de Charlottetown, la peinture offre une vision révisée du sesquicentenaire du Canada. Élaborant sur Kanata, Houle concentre une fois de plus son attention sur le guerrier delaware de La Mort du général Wolfe, mais cette fois-ci, le guerrier est peint à l’huile (par opposition au Conté de couleur), assis seul, au même endroit où Wolfe est mort dans la peinture de West, face à l’est sur les plaines d’Abraham. En éliminant toutes les autres figures de la composition, Houle efface efficacement le colonisateur et s’attaque aux problèmes politiques et culturels actuels. Alors que le Canada cherche à se réconcilier avec les Premières Nations, Houle fait référence à une histoire antérieure à l’invasion de la terre par les Européens. « L’idée du 150 [célébrations pour souligner le 150e anniversaire de la Confédération canadienne] n’était pas un problème pour moi, mais plutôt une correction pour clarifier que mon sens du pays remonte plus loin que 1867 », explique Houle. « Notre amitié et nos traités numérotés sont aussi précédés par la présence de nos ancêtres qui remontent à des millénaires ».

 

Robert Houle, O-ween du muh waun [On nous a dit], 2017
Robert Houle, O-ween du muh waun [We Were Told] (O-ween du muh waun [On nous a dit]), 2017, huile sur toile, triptyque, 213,4 x 365,8 cm, Confederation Centre Art Gallery, Charlottetown.

 

 

Impact

Robert Houle fait une brèche dans la trame d’une histoire de l’art largement eurocentrique au Canada, et met au jour des récits historiques inédits qui s’inscrivent en dehors de l’héritage européen. Utilisant la critique moderne, postmoderne et postcoloniale dans son art, son travail de conservateur et son enseignement, il brise les chaînes du colonialisme pour récupérer et engager des artistes du passé — de Benjamin West et George Catlin (1796-1872) à Barnett Newman (1905-1970) — dans des dialogues qui recontextualisent le présent.

 

Robert Houle, Lances de guerrier pour Temagami, 1989
Robert Houle, Warrior Lances for Temagami (Lances de guerrier pour Temagami), 1989, médias mixtes, diamètre de la base : 5 x 76.2 cm, diamètre total : 152,5 x 76,2 cm, Centre d’art autochtone, Affaires autochtones et du Nord Canada, Gatineau. 
Robert Houle, Wigwam, 1972
Robert Houle, Wigwam, 1972, acrylique sur toile, 209 x 121 cm, Centre d’art autochtone, Affaires autochtones et du Nord Canada, Gatineau. Il s’agit de l’une de douze toiles de Robert Houle inspirées de poèmes d’amour.

En 1977, en tant que premier conservateur de l’art autochtone contemporain au Musée national de l’Homme, Houle critique la collection et les pratiques d’exposition du musée, ce qui ouvre les consciences à la façon dont les musées et les galeries d’art canadiens malmènent le travail des artistes autochtones. Il fait valoir que leur art devrait être vu avant tout dans les galeries d’art et non dans le contexte d’artefacts anthropologiques ou ethnographiques. Malgré la résistance des autorités muséales, il propose l’achat d’œuvres de Carl Beam (1943-2005) et de Bob Boyer (1948-2004), entre autres. Après sa démission, il poursuit son travail de conservateur indépendant et est responsable de deux expositions marquantes — New Work by a New Generation (Nouvelles œuvres par une nouvelle génération) en 1982 et Land, Spirit, Power (Terre, esprit, pouvoir) en 1992 — l’une et l’autre mettant à l’avant-plan l’art autochtone dans un milieu contemporain.

 

En tant que conservateur et créateur, Houle fait partie de cet important groupe d’artistes autochtones qui émergent en tant que créateurs distincts et pertinents dans le paysage artistique canadien. Dans New Work for a New Generation et dans l’essai du catalogue qui l’accompagne, par exemple, Houle fait valoir la pratique artistique autochtone en présentant des œuvres fraîches et contemporaines. Il montre la capacité de ces artistes à synthétiser leurs origines, chacun se situant à la lisière du courant dominant ou entre celui-ci et leur communauté. Cela inspire de jeunes générations d’artistes autochtones, dont Bonnie Devine (née en 1952), Rebecca Belmore et Shelley Niro. Houle n’est pas contre la tradition, mais figure parmi les premiers à proclamer que le travail autochtone est assez sophistiqué pour mériter l’attention en tant qu’art grand public.

 

Il est indéniable que Houle a changé le paysage de l’art canadien. Aujourd’hui, les musées d’art et les galeries d’art publiques embauchent des conservateurs autochtones; Wanda Nanibush occupe un poste au Musée des beaux-arts de l’Ontario et Greg Hill au Musée des beaux-arts du Canada. Les artistes autochtones contemporains figurent dans les collections permanentes et sont considérés au même titre que les artistes et les mouvements contemporains plutôt que comme entités distinctes. Les institutions engagent un mouvement conscient vers la décolonisation des espaces et le réaménagement des politiques de collection. Des artistes autochtones sont maintenant exposés aux côtés d’autres artistes d’origines et de pays différents. Au milieu de tous ces changements positifs, Houle a ouvert la voie, son travail participant à la réécriture de l’histoire de l’art et de l’histoire culturelle.

 

Robert Houle, Sandy Bay Residential School I (Pensionnat indien de Sandy Bay I), 2012
Robert Houle travaillant sur Sandy Bay Residential School I (Pensionnat indien de Sandy Bay I), 2012, photographie tirée de la vidéo de Shelley Niro, Robert’s Paintings (2011).

 

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