Les lois 1958

Entre 1957 et 1967, Agnes Martin établit sa carrière à New York, où elle a déjà vécu à deux reprises comme étudiante. Durant ses premières années dans cette ville, elle produit un certain nombre d’assemblages, notamment Les lois. Cette pièce consiste en un panneau de bois haut de deux mètres, dont la moitié supérieure est peinte en bleu foncé et la moitié inférieure, dans un bleu plus clair. Une grille de cinquante crampons de navire cloués en rangées dans la moitié supérieure du panneau constitue l’un des premiers avatars de ce motif chez Martin. Une grille similaire réapparaît dans nombre de compositions au cours des quatre années suivantes, sous la forme de capsules de bouteille dans Water (Eau), 1958, et de clous en acier dans The Wall #2 (Le mur n^o 2), 1962.

Martin a occupé plusieurs lofts à Coenties Slip, un quartier bordant la East River alors sans doute considéré comme un coin perdu de Manhattan. Le Slip est un vestige du New York de Herman Melville, dont le roman de 1851 Moby Dick se déroule sur les baleiniers qui vont et viennent dans le port maritime de Manhattan. Les lofts et les quais de Coenties Slip offrent aux artistes du quartier quantité de débris et d’objets abandonnés pouvant servir à façonner des œuvres d’art. En témoigne l’œuvre de Robert Indiana (1928-2018), également résident du Slip, et de Robert Rauschenberg (1925-2008), qui vit non loin dans la rue Pearl. Indiana et Rauschenberg sont tous deux associés au pop art et, comme Martin, ils utilisent des objets trouvés près des quais pour créer des sculptures et des assemblages tridimensionnels. 

L’artiste textile d’avant-garde Lenore Tawney (1907-2007), également installée à Coenties Slip et avec qui Martin a noué une amitié durable, a acheté Les Lois ainsi que d’autres œuvres tridimensionnelles de l’artiste, comme Kali, 1958, et Homage to Greece (Hommage à la Grèce), 1959. Les assemblages de Martin appartiennent pour la plupart à des collections privées et n’ont été que rarement exposés ou reproduits; il est possible cependant que Les lois ait fait partie de la deuxième exposition de Martin à la Betty Parsons Gallery en décembre 1959. À partir de 1963, l’artiste délaisse le procédé, alors qu’elle se consacre aux peintures de grilles qui l’ont rendue célèbre. Les pièces telles que Les lois et Le mur n^o 2 sont révélatrices non seulement de moments clés dans la genèse de sa grille, mais également de la participation active de l’artiste à la dynamique avant-garde new-yorkaise des années 1960.