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Oviloo Tunnillie (1949-2014) débute sa carrière de sculpteure en 1972. Bien que peu de ses œuvres des années 1970 ne soient documentées, il s’agit surtout de représentations naturalistes de la faune sauvage, en particulier des oiseaux et des chiens, exécutées avec une hache et une lime. En 1988, elle s’est mise à sculpter avec des outils électriques, créant des scènes détaillées inspirées de sa propre vie ainsi que des sujets vus à la télévision. Souvent des figures féminines rendues avec force, ses sculptures confrontent la nature même de leur matière, embrassent les possibilités d’abstraction et témoignent de la conviction avec laquelle la sculpture sur pierre saisit l’émotion de la séparation, de la perte, des luttes personnelles et des joies de la vie.

 

 

Outils

Oviloo Tunnillie, Owl (Hibou), 1974, serpentinite (Tatsiituq), 18,4 x 6,1 x 5,7 cm, non signée, Winnipeg Art Gallery.
Oviloo Tunnillie, Dogs Fighting (Combat de chiens), v.1975, serpentinite (source inconnue), 43,3 x 38,9 x 4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

La plus ancienne sculpture d’Oviloo Tunnillie est Mother and Child (Mère avec son enfant), créée en 1966. La pierre de serpentinite provient d’un vaste gisement situé non loin du camp de la famille, à Kangiaau sud de l’île de Baffin. Oviloo a mentionné que cette première œuvre, de même que ses sculptures du début des années 1970, ont été réalisées avec une hache et une lime, les outils de son père sculpteur, Toonoo (1920-1969). Pour un Owl (Hibou) sculpté en 1974, elle se souvient de s’être servie d’une hache pour le corps et de papier sablé pour former les plumes des ailes. Pour une sculpteure inexpérimentée, qui a commencé à vendre ses pièces à l’occasion, depuis deux ans seulement, la manipulation de ces outils manuels exige beaucoup de force physique et de patience. Dogs Fighting (Combat de chiens), v.1975, montre bien à quel rythme progresse le talent d’Oviloo : alors qu’Hibou est plutôt monolithique, l’œuvre ultérieure est détaillée et sa forme communique bien le mouvement des corps des chiens.

 

 

Au début des années 1980, quelques autres sculpteurs inuits utilisaient des outils électriques leur permettant de créer des sculptures en déployant moins d’effort. Comme l’a expliqué Ohito Ashoona (né en 1952) : « Nous nous servons d’outils électriques afin de ne pas endommager nos bras. Avec des outils manuels, on voit des enfoncements parce que la pierre est lézardée ou ébréchée. Avec des outils électriques, l’œuvre peut être très lisse et polie. Je suis encore capable de sculpter en utilisant des outils manuels, mais les outils électriques semblent être meilleurs. » Tandis qu’Oviloo a adopté cette nouvelle manière de travailler quelques années plus tard, d’autres, y compris le maître-sculpteur Osuitok Ipeelee (1923-2005), continuent de se servir d’outils tels qu’une hache, une scie et des limes.

 

Le processus de la réalisation d’une sculpture, du premier façonnement brut de la pierre jusqu’aux étapes finales de finissage et de polissage de la pièce, implique une série de choix mécaniques et artistiques. Un artiste doit non seulement développer l’aptitude physique pour manipuler les outils nécessaire au travail de la pierre, mais aussi une compréhension nuancée de ce que chaque outil peut faire.

 

Gros plan d’Oviloo Tunnillie en train de sculpter, 1992, photographie de Jerry Riley.
Oviloo Tunnillie, Self-Portrait with Carving Stone (Autoportrait avec pierre à sculpter), 1998, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 53,0 x 37,5 x 33,3 cm, collection de Fred et Mary Widding.

 

Dans un entretien de 1998 avec les commissaires Susan Gustavison et Pamela Brooks, Oviloo explique comment elle crée ses sculptures et les rôles que jouent les différents outils à chaque étape du processus :

 

[J’utilisais auparavant] une hache et une lime. . . . mais depuis que j’ai eu une opération à mon bras, je me sers de meuleuse ou d’outils électriques. . . . Pour commencer, je me sers d’un ciseau électrique. Après avoir utilisé le ciseau électrique, j’utilise la meuleuse. . . . [puis] j’utilise une [perceuse électrique] Dremel pour faire le finissage. Une fois que j’en ai fini avec toutes ces choses, je me mets à me servir d’une lime et aussi je commence à me servir d’un ciseau. Une fois que j’ai terminé le limage et le ciseau, je commence à sabler.

 

Je dois me servir de quatre différents grains de papier sablé. Je procède du plus grossier au plus lisse. . . Comme les outils électriques dont je me sers ne sont pas conçus pour les petites pièces, ils sont lourds. Mon bras se fatigue quand je les utilise. . . . J’avais l’habitude d’employer la cire sur quelques sculptures mais il y a du [papier sablé à] grain fin tel que le 1500. Bien qu’il y ait du 1500, j’aimerais me rendre à un grain de 2000. Parce que cela [rendrait la surface] encore plus brillante.

 

Oviloo se sert des différents outils à sa disposition pour créer des variations de forme et de texture dans son travail, de la chevelure texturée de Tired Woman (Femme fatiguée), 2008, aux plumes réalistes de ses sculptures d’oiseaux des années 1980. Elle a représenté son propre processus de travail dans des œuvres telles que Self-Portrait with Carving Stone (Autoportrait avec pierre à sculpter), 1998, qui montre l’artiste tenant un morceau de pierre sur le point d’être sculpté. Elle a acquis une telle confiance en ses aptitudes techniques que son talent artistique et sa maîtrise de la pierre ont généré un travail tirant profit de formes sensiblement plus simples. Elles sont néanmoins  aptes à communiquer l’universel à même le particulier et de révéler un sens caché.

 

Oviloo Tunnillie utilisant une meuleuse électrique, image du documentaire Keeping Our Stories Alive: The Sculpture of Canada’s Inuit de 1993.
Oviloo Tunnillie utilisant une meuleuse électrique, image de l’émission Adrienne Clarkson Presents,« Women’s Work: Inuit Women Artists », 12 novembre 1997.

 

 

Matériaux

Oviloo Tunnillie et d’autres sculpteurs de Cape Dorset (‘Kinngait’ en inuktitut) ont le plus souvent choisi la serpentinite pour leurs sculptures. Bien des fois, la pierre de sculpture utilisée par les artistes inuits est décrite comme étant de la « pierre à savon », mais la pierre à savon, qu’il est plus exact d’identifier comme de la stéatite, contient une forte proportion de talc, ce qui la rend très douce. De nombreux artistes trouvent la stéatite trop douce pour la sculpture. La serpentinite est une roche plus dure consistant en minéraux du groupe de la serpentine qui sont communément verts, d’un jaune verdâtre ou d’un gris verdâtre et veinés ou mouchetés de rouge, de vert et de blanc.

 

Une équipe de sculpteurs d’Iqaluit à la carrière de Korok Inlet, 2011, Gouvernement du Nunavut.

Iyola Tunnillie, le mari d’Oviloo, a extrait la pierre de serpentinite d’Oviloo de plusieurs sites, notamment Kangia; Itilliaqjuq (aussi épelé Itidliajuk), situé à un mille d’Igalalik; Kangiqsuqutaq à Korok Inlet; Tatsiituq, qui est aussi le site d’un camp; Kadlusivik; et Aqiatulaulavik, l’emplacement d’un des premiers camps. La pierre à sculpter est différente dans chacun de ces gisements et Iyola est capable de les distinguer tous en examinant des photographies des sculptures. La plupart de ces sites ont fini par être épuisés et la pierre utilisée aujourd’hui provient habituellement d’une grande carrière à Korok Inlet. La connaissance des types de pierre est souvent utile pour identifier et dater les sculptures du sud de l’île de Baffin.

 

En plus de la serpentinite, un autre matériau complètement différent est employé pour plusieurs sculptures d’Oviloo. Un artiste (on ignore lequel) en visite à Cape Dorset a éveillé son intérêt pour le travail à partir de cristaux et elle s’est mise à les employer dans sa pratique. Beautiful Woman (Belle femme), 1993, par exemple, représente une jeune femme assise tel un Bouddha, avec un soulier à talon haut pointant sous le bord de son ample jupe. Elle tient un gros cristal de quartz dans sa main, à la manière d’un sceptre, et porte une tiare incrustée d’autres cristaux comme des diamants.

 

Iyola a mentionné qu’Oviloo trouvait des cristaux dans un ruisseau près de leur maison à Cape Dorset : « Juste après que la neige ait fondu, on voyait tous ces petits cailloux. » Les plus gros cristaux étaient taillés à même la pierre trouvée dans le puits inférieur de la mine de Kangiqsuqutaq à Korok Inlet. Une autre sculpture avec des cristaux de quartz bien saillants est Sea Spirit (Esprit de la mer), 1993, dans laquelle un gros cristal orne le front de l’esprit de la mer tandis que ses mains en tiennent deux autres.

 

Le galeriste Robert Kardosh a expliqué qu’au lieu de libérer une forme contenue dans un morceau de pierre, Oviloo se fie à ses matériaux telles des contraintes qui l’aident à élaborer ses idées. Elle s’est d’ailleurs exprimée à plusieurs reprises sur le défi de conceptualiser ses sculptures :

 

Il peut être très difficile de sculpter l’idée que vous avez en tête. Si votre idée ne correspond pas à la forme de la pierre, il se pourrait que votre idée ait à changer, parce que vous devez accepter ce qui est disponible dans la roche. 

 

Oviloo Tunnillie, Sedna, 2007, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 29,8 x 16,5 x 16,5 cm, signée en syllabaire, collection de Gail et Jerry Korpan.
Oviloo Tunnillie, Woman Thinking (Femme en train de penser), 1996, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 35,6 x 40,6 x 20,3 cm, signée en syllabaire et datée de 1996, collection de Jamie Cameron et Christopher Bredt.

 

La sculpture fait appel à un effort mental aussi bien que physique et les deux se combinent dans l’exécution de l’œuvre. Oviloo en a parlé dans un entretien de 1998, quand on l’a questionnée à propos de Woman Thinking  (Femme en train de penser), 1996 :

 

Dans cette pièce . . . j’en suis arrivée au point où je ne sais pas quoi faire. Quelques fois, il m’a fallu au moins trois jours pour me faire une idée de ce que j’allais faire. Une fois que j’ai imaginé ce sur quoi je vais travailler, je me mets à travailler la pierre. Je ne dessine pas sur du papier ce que je vais faire. C’est seulement une fois que je sais ce que je vais faire que je commence à travailler la pierre à savon.

 

Plusieurs des sculptures les plus émotives d’Oviloo expriment la tension mentale de l’acte de sculpter à travers le langage corporel de ses personnages. Dans Femme en train de penser, 1996, Oviloo est assise, les mains jointes pressées contre sa tête inclinée. Sa matière première est le sujet de la profonde méditation de l’artiste dans Woman Carving Stone (Femme sculptant de la pierre), 2008. La partie supérieure de son corps et sa tête sont inclinées au-dessus d’un gros morceau de pierre, suggèrent l’épuisement et l’immense effort physique qu’elle doit déployer pour le sculpter.

 

Oviloo Tunnillie, Woman Carving Stone (Femme sculptant de la pierre), 2008, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 44,4 x 26,7 x 11,4 cm, signée en syllabaire, collection de Barry Appleton.

Réalisme et autobiographie

Dans l’œuvre d’Oviloo Tunnillie, le réalisme  est manifeste non seulement dans la forme et les détails de ses sujets, mais aussi dans la posture que prend son travail vis-à-vis du passé de l’artiste mais aussi de sa vie quotidienne. Elle a été l’un des très rares sculpteurs inuits à développer son approche du réalisme en une autobiographie détaillée. Une œuvre de 1991-1992, This Has Touched My Life (Ceci a touché ma vie), est une représentation réaliste d’un souvenir de ses années dans les sanatoriums du Sud et la première de nombreuses pièces autobiographiques. L’œuvre humoristique Nature’s Call (L’appel de la nature), 2002, est un exemple de la façon dont Oviloo aborde, de manière franche et décomplexée, le corps humain et les fonctions corporelles.

 

Oviloo Tunnillie, Hawk Landed (Faucon posé), v.1989, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 12 x 34,5 x 29,2 cm, signée en syllabaire, Musée canadien de l’histoire, Gatineau.
Kananginak Pootoogook, Hawk Prepares for Attack (Faucon se préparant à attaquer), 1992, gravure sur pierre et pochoir sur papier, édition de 50, 50,7 x 68,5 cm, Musée canadien de l’histoire, Gatineau.

Dans les années 1970 et 1980, Oviloo conçoit des compositions animalières élégantes, particulièrement de chiens et d’oiseaux, les dépeignant avec une grande attention portée aux détails naturalistes. Dans Combat de chiens, v.1975, plusieurs animaux interagissent et forment une composition complexe qui traduit leurs mouvements frénétiques. Oviloo a aussi sculpté des oiseaux réalistes dans ses premières années. Il s’agissait habituellement de faucons, comme dans Hawk Landed (Faucon posé), v.1989, et Hawk Taking Off (Faucon prenant son envol), v.1987. Dans la première de ces deux pièces, l’appréciation des qualités de la pierre par l’artiste est manifeste. Des détails, tels que les motifs du plumage et les griffes, sont soigneusement définis. Dans un entretien de 1991, elle explique le plaisir qu’elle prend à sculpter des oiseaux :

 

Dans mes sculptures en ce moment, les oiseaux sont mon sujet préféré. Les choses qui sont simples en détail. . . . En ce moment, j’aime sculpter des oiseaux aux ailes déployées. J’aime sculpter la pierre jusqu’à ce qu’elle soit très mince aux ailes. Quand je fais ça, une grosse partie de la pierre est enlevée parce que j’essaie de soustraire le gros du poids. . . J’essaie de sculpter un oiseau empreint d’un certain élan. . . . J’éprouve une grande joie quand la pierre commence à prendre forme.

 

S’il y a beaucoup de sculpteurs de Cape Dorset dont les travaux sont célèbres pour leurs représentations détaillées de la faune arctique, le degré de précision qu’atteint Oviloo se compare le mieux avec l’art de Kananginak Pootoogook (1935-2010), qui a été décrit comme l’« Audubon de l’Arctique. » Pour les deux faucons d’Oviloo, de 1987 et 1989 environ, il est possible de distinguer leur espèce précise — la buse pattue.

 

Dans une autre œuvre, Dog and Bear (Chien et ours), 1977, la poursuite acharnée du chien et la tentative d’évasion paniquée de l’ours sont palpables. Ici, l’attention au réalisme s’insinue dans le contexte auquel la scène fait allusion, ainsi que dans les détails de son sujet. Les chiens étaient une importante source de protection pour les habitants des camps sur les terres. Une meute de chiens pouvait également encercler et prendre au piège un ours polaire, le rendant vulnérable à la lance ou au fusil d’un chasseur. À l’instar de l’approche ultérieure d’Oviloo de capter des scènes de sa propre vie, elle a recours dans cette pièce à un moment clé pour suggérer un récit beaucoup plus large.

 

Oviloo Tunnillie, Dog and Bear (Chien et ours), 1977, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 23,0 x 21,8 x 12,2 cm, non signée, Banque d’œuvres d’art du Conseil des arts du Canada, Ottawa.

 

En 1997, Oviloo livre un résumé succinct de son art et de ses sujets : « Ce sont des expériences personnelles que j’ai eues et c’est pourquoi j’aime les réaliser. Mes sculptures sont ce que j’ai vu, ce dont j’ai fait l’expérience. » À une autre occasion, elle mentionne : « Certaines personnes écrivent à propos de leur vie, mais moi je sculpte à propos de ma vie. C’est de cette façon que je veux être connue. »

 

Pitseolak Ashoona, dessin pour la gravure Memories of Childbirth (Souvenirs d’accouchement), 1976, crayon feutre de couleur sur papier, 24,1 x 35,6 cm, collection de la West Baffin Eskimo Co-operative Ltd., en prêt à la Collection McMichael d’art canadien, Kleinburg, Ontario.

Dans les années 1990, quand l’autobiographie est devenue une composante majeure de son art, Oviloo ajoute une part de récit, en particulier dans ses œuvres « d’hôpital ». À l’époque où elle sculpte, seuls quelques artistes inuits intégrent une dimension autobiographique à leur travail. L’artiste graphique Pitseolak Ashoona (v.1904-1983) et sa fille Napachie Pootoogook (1938-2002), par exemple, montrent les femmes dans un contexte social où elles sont définies par les rôles d’épouse et de mère. Cependant, au fil de la carrière d’Oviloo, ses sculptures  sont devenues de moins en moins narratives, se centrant sur un sujet individuel sans nécessairement suggérer un contexte plus large ou une histoire, comme dans Autoportrait avec pierre à sculpter, 1998.

 

Les sculptures autobiographiques d’Oviloo sont habituellement des figures solitaires qui portent le sens de ses souvenirs et introspections. Visiblement ravie, Self-Portrait on Sled in 1959 (Autoportrait en traîneau en 1959), 1998, est un souvenir de 1959 : « C’est la première fois que j’ai commencé à glisser. En me servant d’un traîneau comme ça. » Un souvenir plus tardif, Self-Portrait [Arriving in Toronto] (Autoportrait [En arrivant à Toronto]), 2002, montre Oviloo avec une valise alors qu’elle arrive à l’aéroport de Toronto en 2000 ou 2001. Sa robe à manches courtes reflète son arrivée dans une nouvelle culture méridionale, mais aucun élément ne suggère ce qu’elle fait là ou combien de temps elle pourrait rester. Elle semble indiquer son enthousiasme initial et l’anticipation d’un style de vie urbain en contraste frappant avec la vie à Cape Dorset. Comme c’est souvent le cas, Oviloo exprime un état d’esprit par son habillement et sa chevelure.

 

Oviloo Tunnillie, Self-Portrait on Sled in 1959 (Autoportrait en traîneau en 1959), 1998, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 23,5 x 41,9 x 20,3 cm, signée en syllabaire et datée de 1998, collection de Jamie Cameron et Christopher Bredt.

 

 

L’abstraction – les silhouettes à robe

À partir des années 1990, Oviloo Tunnillie a créé une série de personnages féminins solitaires drapés dans des espèces de longues robes flottantes épousant les courbes de leur corps, ainsi que des sculptures révélant des sujets féminins nus. Dans ces figures, l’artiste renonce souvent aux détails que l’on peut voir dans ses œuvres réalistes, et les imprègne d’une émotion abstraite. Les vêtements, propres à aucune culture particulière, ne distraient pas du langage corporel expressif des personnages. La chevelure contribue également à la forte impression générale de féminité sensuelle. Elle est habituellement longue et flottante, comme dans Woman with Long Hair (Femme aux longs cheveux), v.1994, et c’est souvent la seule partie d’une pièce dont la surface est texturée dans le détail. De même que la coupe de cheveux au carré, avec une frange, représente les années qu’Oviloo passe à l’hôpital, comme on peut le voir dans Nurse with Crying Child (Infirmière avec enfant qui pleure), 2001, la cascade de beaux cheveux exprime quant à elle une féminité mûre.

 

Oviloo Tunnillie, Woman with Long Hair (Femme aux cheveux longs), v.1994, serpentinite (Kangisuqatak/Korok Inlet), 43,2 x 30,5 x 14,2 cm, signée en syllabaire, collection de Lois et Daniel Miller.
Oviloo Tunnillie, Woman with Pot (Femme avec pot), 2001, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), 16,5 x 10,2 x 17,8 cm, signée en syllabaire, collection de John et Joyce Price.

 

Robert Kardosh, directeur de la Marion Scott Gallery de Vancouver, a judicieusement décrit les sculptures d’Oviloo comme des « portraits émotionnels » exprimant la psychologie plus que le récit. Ses autoportraits tardifs, tels que Femme en train de penser, 2002, sont définis par ce qu’ils ressentent, non par le rôle que joue le personnage dans la société. De fait, pour des œuvres telles que Repentance (Repentir), 2001, ou Woman with Pot (Femme avec pot), 2000, les spectateurs sont en droit de se demander s’ils voient bien le travail d’un artiste inuit, puisque la sculpture traverse les barrières culturelles. Ses formes lisses et ondulées en pierre polie se rapprochent souvent de l’abstraction. Il y a très peu de détail outre le puissant langage du corps humain.

Dans ces personnages, l’expression faciale n’est pas importante et est souvent couverte par des mains qui révèlent le chagrin ou la méditation. Dans Diving Sedna (Sedna en plongée), 1994, par exemple, le visage du personnage est caché, ce qui fait ressortir le reste du corps, tandis que dans Crying Woman (Femme en pleurs), 2000, un personnage nu se tient la tête dans les bras qui reposent sur ses genoux repliés, se recroquevillant sur lui-même mentalement et physiquement. C’est une image de complète introspection et de vulnérabilité.

 

Comme l’indique le titre de l’ultime exposition de l’œuvre d’Oviloo à la Marion Scott Gallery en 2008, Transcending the Particular (Transcender le particulier), sa sculpture finit par s’éloigner des détails de la culture du Sud qui l’avaient précédemment intriguée, tels que la robe de soirée de Belle femme, 1993, et des sujets tirés de la culture populaire qu’elle voyait à la télévision, tels que le Football Player (Joueur de football), 1981. Les sujets féminins plus généraux d’Oviloo, tels que Grieving Woman (Femme en deuil), 1997, évoquent les émotions de la condition humaine qui transcendent le sexe et la culture. Peu de sculpteurs peuvent se targuer d’être parvenus à abstraire l’émotion pure de la pierre froide et dure.

 

Oviloo Tunnillie, Beautiful Woman (Belle femme), 1993, serpentinite (Kangiqsuqutaq/Korok Inlet), cristaux de quartz (Cree Kugala Creek), 36,8 x 40,0 x 20,3 cm, signée en syllabaire, Museum of Anthropology, University of British Columbia, Vancouver.

 

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